vendredi 8 avril 2016

Messagers impromptus...


Il est de ces chemins de traverse à Alençon qui sont empreints de mystères; ceux-là même où il se peut que le promeneur égaré croise un des Surnaturels du cru.
Il se trouve qu'il y a une semaine de cela, j'errais dans une de ces ruelles secrètes quand au loin, dans une cour privée, mon regard fut attiré par une illumination de Noël : un de ces arbres faits de lampes LED qui éclairaient la ville il y a de cela plus de quatre mois.
Des voix s'échappaient de cette cour et leurs tonalités m'inquiétèrent, me rappelant celles d'ennemis éternels.
En catimini je m'approchai, me cachant derrière une conteneur à ordures. Les voix s'élevant semblaient parler dans une parodie de langage elfique, confirmant mes soupçons. Je n'eus pas le temps de comprendre ce qui se tramait ici, quand ce qui semblait être leur chef se retourna et s'adressa à moi :
- Monsieur Gilles, ne soyez pas si timide. Venez vous joindre à nous, au lieu d'écouter aux portes...
Je m'avançai alors et fis face à ce qui ressemblait à un lutin, un de ces lutins maléfiques aux ordres d'un dieu encore plus maléfique. L'air fourbe, emmitouflé dans un manteau blanc, le capuchon rabattu sur son visage, il contemplait les lueurs de cet arbre de Noël, alors que deux lutins patibulaires aux mines réjouies me collaient de près, reluquant ma sacoche.
- Ah ! Monsieur Gilles, je n'attendais plus votre venue ! Une nuit de plus et j'envoyais mes amis ici-présents Farceur et Nettoyeur vous porter mon message. Finalement, votre légendaire curiosité l'a emportée sur mon intérêt personnel. Vous n'aurez pas toujours cette chance. Mais je manque à tous mes devoirs. Je me présente : je suis Commode, le chef des Lutins du Grand Nord. Peut-être vous souvenez-vous de notre dernière rencontre ? Je dois avouer que vos contrées sont plaisantes, bien qu'un poil trop chaudes à mon goût, et mes cousins de Normandie grâce à qui je suis là, trop affables compte-tenu de vos agissements récents.
- Que me vaut la visite du valet personnel de Njörd, si loin de la Laponie, je vous prie, Commode ? Je vous croyais trop heureux chez vous, à réduire le peuple Sami en esclavage...
- Un peu de correction, je vous prie, mon cher Gilles !  Je ne suis pas un simple valet. Quant à mon maître, je vous saurai gré de l'appeler par son nom courant. Il vous serait très dommageable de vous mettre à dos le Grand Maître du Froid, le Vénéré Claus.
- Venez-en au fait, Commode ! J'ai d'autres préoccupations que vos petites manies protocolaires. Et vous savez bien ce que je pense de Njörd.
- ...
- Eh bien ?
- Soit. Voyez-vous, le Vénéré Grand Maître du Froid est très mécontent de vos allégeances récentes, Gilles. Ces conciliabules secrets à la Lande de Goult, ces boucs qui se libèrent mystérieusement de leurs entraves à Radon, vos visites impromptues au cimetière... Tout cela signe la présence parmi nous d'un dieu de l'ancien panthéon nordique, celui de vos ancêtres vikings.
Le Vénéré Claus serait prêt à vous pardonner contre une toute petite information de rien du tout. Rien qui ne vous engage beaucoup, en fait. Nous aimerions simplement connaître le nom de celui qui vous a manipulé depuis le mois d'octobre dernier dans le but de faire échec à notre maître.

- Son pardon ? Est-ce là tout ce que j'ai à y gagner ?
- Le Vénéré Claus sait bien que non. Il vous promet cependant de vous aider en retour. Vous voyez cet anneau ? Il vous protégerait à jamais de l'Hiver qui vient et de la Nuit Éternelle, lorsque le temps sera venu. Songez-y : donnez un simple nom, et la protection de mon maître vous sera accordée à tout jamais...


- Ne vous fichez pas de moi, Commode. Je connais bien vos magouilles de Lutin du Grand Nord. Cet anneau ici est une pâle copie d'anneau élémentaire, comme il en circule par centaines sous le manteau depuis plusieurs mois dans ce quartier d'Alençon et en Écouves. J'imagine que vous êtes d'ailleurs vous-même responsable de ce marché soudain parmi les Surnaturels. Escroc, menteur et hypocrite, je vous reconnais bien.  Non seulement cet anneau ne me protégerait de rien du tout, mais qui plus est, vous et votre maître m'assassineriez à la première occasion si vous le pouviez. Vous perdez votre temps, Commode.
À peine eu-je fini mes mots qu'un grondement animal se fit entendre et, tandis qu'au ciel, la constellation de la Grande Ourse s'illuminait comme cent soleils, une voix se leva au-dessus de nous :
- L'équilibre du monde est ainsi fait qu'à vous et à Njörd sont destinés le Grand Nord et l'Hiver, Commode. Mais nous ne sommes ni au Grand Nord ni en Hiver. En Normandie, tous les Dieux et tous les Surnaturels ont leur place à égalité et cette égalité, même Njörd ne pourrait la briser, fût-ce au cœur d'un Hiver exceptionnel.
Les manigances de votre dieu du Froid sont vouées à l'échec. Qu'il se contente de son Hiver plutôt que de chercher la domination sur les autres. Les dieux du Nord et les dieux du Sud se sont rassemblés et un accord a été trouvé : Dès demain, Njörd séjournera dans les geôles du Valhod et y résidera jusqu'à ce que la dernière feuille de l'automne soit tombée à terre. Ainsi ai-je parlé, moi Artémis !



Poussant un juron, Commode leva le poing en l'air alors que la nuit se réinstallait progressivement...
- Nous n'avons pas dit notre dernier mot, Gilles ! Tenez-le-vous pour dit ! Farceur ! Nettoyeur ! On s'en va... pour l'instant. Visiblement on ne peut plus discuter tranquillement sans se faire interrompre par je ne sais quelle divinité de malheur !
- Puissiez-vous ne jamais revenir en ces lieux, Commode !
- Ce n'est pas à vous de décider où je dois ou non aller ! Nous sommes appelés à nous revoir, parole de Lutin du Grand Nord !


 Il y eut alors un grand craquement, et par-delà l'espace et le temps, Commode et ses deux acolytes se volatilisèrent au Grand Nord, loin de tout, sauf de la main de leur despote. Me retournant vers la chaleur de mon appartement, je me marmonnais à moi-même :
- Oh, je puis te faire confiance pour cela, Commode... Cette fois, je serai prêt.

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