samedi 28 mai 2016

Parfums d'éternité...


Certaines choses ont un goût d'éternité.
Pour ma part, il est un lieu qui me paraît suspendu hors du cours affolé du Temps : chez ma grand-mère. Tout s'y déroule comme du temps de mon enfance, avec les mêmes rituels, la même lenteur à la fois proverbiale et salvatrice.
Chaque fois que nous lui rendons visite, ma mère et moi, nous nous installons toujours aux mêmes places, répondons aux mêmes questions rituelles (Je vous fais un café ou un thé ? Et toi, un chocolat ?)  et commençons ainsi chaque discussion dans le même état d'esprit autour de la table avec ses augustes tabourets qui virent plus d'un postérieur sans jamais s'abîmer, une tasse devant nous et un paquet de madeleines ouvert et versé dans une boîte à gâteaux au milieu.
Parlant de ce qui fait la vie, nous échangeons dans une éternelle danse verbale autour de nos tracas de la semaine, de nos bobos du jour ou simplement de ce qui fait l'actualité, non sans nous rappeler d'où nous venons et quelles valeurs nous avons toujours défendues. Pourtant même ces discussions très philosophiques se déroulent immanquablement dans la simplicité coutumière de l'endroit, sans grands mots ronflants ni concepts sophistiqués, mais les pieds ancrés dans le quotidien, presque enracinés dans la terre, cette même terre que ma grand-mère cultive sans relâche dans son jardin.


Pourtant, il y a des détails qui ne trompent pas, des détails prouvant que le Temps a fait son œuvre...
Ici, un râtelier magnétique où s'alignent consciencieusement des hachoirs, couteaux et ciseaux, installé il y a peu par un oncle bricoleur... Là, une cafetière que mon enfance n'a point connue.
Et la voix de mon grand-père qui ne retentit pas plus dans cette maison que la télévision, jadis allumée une bonne partie de la journée.


Au mur de la cuisine, au-dessus de ma place habituelle, un morceau d'éternité continue pourtant d’égrener les secondes depuis le début des Temps...




Tempus fugit...

mardi 24 mai 2016

La chasse à la piterne...


Hé, tonton ! On peut s'arrêter à la fontaine ? J'ai soif !
D'accord, chenapan, mais attention, l'eau de la fontaine ne se boit pas. Tiens, prends plutôt ma bouteille et pose-toi sur un banc pendant que je fais des photos...
Ok tonton ! Mais dis... Après, tu me raconteras une histoire ?
Peut-être, si tu es sage...



Bon, donc tu veux une histoire ? Et si je te racontais plutôt une coutume fort appréciée en Haute Normandie ?
Oh oui ! Dis dis ! C'est quoi ?
La chasse à la piterne.
La chasse à quoi ?
La chasse à la piterne (Speedipus Rex). C'est un animal sauvage des bois et forêts, très rare et redoutablement discret mais incroyablement prévisible. Sitôt qu'on connait son trajet habituel, c'est comme s'il était déjà capturé, et cela tombe bien car sa chair tendre et savoureuse est l'ingrédient principal du Créquoui normand.
Pour le chasser,  il est nécessaire d'être assez nombreux. Il faut au moins une dizaine de rabatteurs et un chasseur. Les rabatteurs font du bruit au sein des fourrés en s'éloignant du chasseur et, passé une certaine distance, commencent à revenir vers le chasseur. Le chasseur, lui, tient un simple sac ouvert, mais à un endroit particulier, un endroit précis. Cet endroit est généralement un chemin de lutin, à peine visible entre deux fourrés.
La chasse à la piterne peut durer un long moment. En vérité de nombreux chasseurs ne rentrent qu'au crépuscule, et souvent bredouille.
Et ça a quel goût tonton ?
La piterne a un goût qui rappelle le dahu pyrénéen, et c'est tout à fait normal : les cryptozoologues les plus spécialisés ont remarqué que la piterne et le dahu sont issus de la même famille.
Et... c'est quoi le dahu ?
Eh bien, mon petit, le dahu c'est une sorte de bouquetin avec deux pattes plus longues que les deux autres, ce qui fait qu'il ne vit qu'en montagne et qu'il se déplace toujours dans le même sens !



Pffff ! Tonton ! Elle est nulle ta blague. C'est pas possible que ça existe le dahu. En plus je parie que la piterne non plus... Pis d'abord le Créquoui ça se mange pas, mamie m'avait dit que c'était du rien.
Tu es un petit futé, tu sais ?
En effet le créquoui c'est un plat composé à 100% de vide. C'est ce qu'on mange quand on a oublié de faire à manger. Quant à la chasse à la piterne, c'est simplement une farce traditionnelle dont de nombreux novices et naïfs furent les dindons. Une coutume qui nécessite deux choses : un naïf et un temps impropre à d'autres activités plus productrices. Mais je m'égare... Il est temps de rentrer.





Tonton, dis... On pourrait pas proposer à papa d'aller à la chasse à la piterne demain ?

lundi 16 mai 2016

Copain, as-tu une âme ?

Copain n'était pas vraiment un ami pour l'enfant que j'étais.
Copain faisait partie de ces peluches, de ces doudous qui étaient arrivés trop tard pour recevoir tout l'attachement du gamin que j'étais.
Toute mon enfance, Copain a cependant gardé sa place au bout de mon lit, jour comme nuit. Je considérais cela comme un compromis acceptable pour cette peluche qui, bien que n'étant pas de celles que j'affectionnais vraiment, restait une preuve d'amour de la part de mes proches.
En tant que tel, Copain représentait donc un dilemme à mes jeunes yeux : me devais-je de l'aimer et lui faire une place dans mon cœur ou pouvais-je me permettre de le traiter en simple décoration enfantine ?
Longtemps, la seconde option fut retenue. Toute mon enfance, en réalité.
Pourtant je m'étais attaché à cette petite poupée de chiffon. Aussi, quand je me mis à grandir, et qu'à la suite d'un déménagement il se retrouva au fin fond d'un carton, je me sentis quelques temps gêné de le laisser reposer dans un grenier poussiéreux... Puis l'âge fit que je l'oubliai presque totalement...



En ce début d'année, pourtant, Copain revint à la vie, cette vie que seuls les jeunes enfants peuvent octroyer à des bouts de tissu, ours en peluche et autres poupées de chiffon...
En effet, ma mère eut l'idée de le ressortir de sa longue hibernation, de l'extirper du grenier alors que ma jeune et jolie nièce Arielle commençait à grandir. Copain retrouva alors une utilité; celle de lui servir de "Copain de jeux".
Copain avait une nouvelle amie.
Il y a un mois de cela à peine, je regardais mon vieux Copain, assis sur ce qui avait été jadis ma chaise de jeune enfant... Et pour la première fois depuis une éternité, je lui trouvai un air heureux. Le sourire dessiné sur son visage n'était enfin plus celui, contraint et forcé, d'une peluche d'ornement, mais celui, jovial et spontané, d'un être de chiffon bien vivant et qui savourait le fait d'être enfin utile...


Était-ce moi qui projetait en lui mes anciens regrets de gamin ? Peut-être...



...Ou peut-être sa vitalité de doudou s'était-elle réveillée ? Car, tous les enfants vous le diront... Les objets inanimés ont eux aussi une âme...

jeudi 12 mai 2016

Délicatesse de l'instant, fugacité de l'instant...



Senteurs printanières sous l'astre ardent,

Couleurs élégantes et pétales paradant,

Bourdonnements insectoïdes incessants,

Quiétude matinale et songes évanescents...



Je ne sais combien de haïkus disparaissent

Durant ces innombrables instants de paix.

Peu importe qu'autour le monde se presse,

La poésie est lenteur par bien des aspects...

dimanche 8 mai 2016

L'ombre des grandes victoires...



Ce jour mérite un petit cours d'Histoire.

Car vous l'ignorez peut-être, mais on ne fête pas la capitulation allemande à la même date dans tous les pays.

D'abord, le 8 mai n'est pas la fête de la fin de la seconde guerre mondiale. Celle-ci prit fin le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon, après deux funestes bombardements les 6 et 9 août de la même année.
Le 8 mai célèbre en France la fin de la guerre en Europe, en réalité. Cependant l'on comprend aisément les raisons de cette célébration dans notre beau pays : pendant les six années de guerre que dura ce conflit, nous vîmes fort peu de fantassins japonais et beaucoup de soldats allemands.

Mais saviez-vous qu'en Russie, la capitulation allemande est fêtée le 9 mai ?

En effet, l'acte de capitulation allemande est signé à Reims le 7 mai 1945 par le maréchal allemand Alfred Jodl devant les représentants des forces alliées américaines, britanniques, soviétiques et françaises. Cette reddition devait prendre effet le lendemain à 23h01 et concerner à la fois le front de l'Ouest (contre les forces américaines, canadiennes, anglaises et françaises, essentiellement) ainsi que le front de l'Est, où Allemands et Soviétiques s'affrontaient encore, malgré la prise de Berlin par l'Armée Rouge.
Voilà l'origine de notre 8 Mai. Il symbolise donc l'arrêt des combats et la reddition des forces allemandes en ce qui nous concerne.

Cependant Joseph Staline prit ombrage de cette signature, car son intention avait été de faire signer la reddition à Berlin même, en territoire dominé par les Soviétiques. Les prémisses de la Guerre Froide étaient alors déjà bien engagés et l'on imagine sans mal que la décision de faire signer la capitulation à Reims était un de ces signes annonçant la longue confrontation entre les deux blocs jusqu'en 1991.

Finalement, Staline obtint de ses alliés une seconde signature de reddition des forces allemandes à Berlin-Est, dans la nuit du 8 au 9 mai. Cette fois-ci, l'heure de la signature complique un peu les choses : à l'heure d'Europe Centrale, la capitulation intervient le 8 mai à 23h01, soit le 9 mai à 1h01du matin à l'heure de Moscou.

De ce fait, dans toute l'Europe Centrale, et en fait dans tous les pays du bloc soviétique, la fête du 8 mai n'existe pas, étant fêtée le lendemain.


Pour l'anecdote, nous pouvons signaler que le 8 mai n'a pas toujours été férié en France depuis; en effet en 1959, le général De Gaulle supprime le caractère férié de cette fête, et en 1975, le président  Valéry Giscard d'Estaing supprime également la commémoration de cette victoire contre l'Allemagne dans un geste de réconciliation avec cette dernière. Il est raisonnable de penser que la construction européenne n'y a pas été étrangère.
Il faut attendre François Mitterrand et la loi du 2 octobre 1981 pour que le 8 mai retrouve sa commémoration et son caractère férié.



Pour finir, je tiens à rappeler que si de grands hommes se sont illustrés dans l'Histoire de la Libération, s'il est tout à fait acquis que ces personnes d'exception aimaient leur pays, n'oublions pas que ces derniers virent de leurs propres yeux à quels égarements peuvent mener le patriotisme et le nationalisme, qu'ils se battirent pour une France libre et non pour une France refermée sur elle-même.

Souvenons-nous-en, nous qui marchons encore dans l'ombre de cette récente Histoire de France...

mercredi 4 mai 2016

L'heure bleue...



Heureux est celui
Qui ne craint pas les orages.
Bleu-roi printanier...

Heureux est celui
Qui bravera les orages
Sous la troisième lune. 


dimanche 1 mai 2016

Les songes du peuple des Arbres...


Il y a longtemps, très longtemps que je réside ici. Jadis, je trônais en paix sur les bords de Sarthe, à peine dérangé par quelques pigeons ou corneilles de passage. Puis les premiers Hommes sont venus. D'abord quelques-uns, en peaux de bêtes, ils furent bientôt des centaines, s'installant durablement dans la région, fondant ce qui allait être cette étendue de pierre, de bitume et de fer quelques millénaires plus tard.
À vrai dire, il m'est difficile de voir en vous autre chose que d'innombrables fourmis, comme celles qui s'installent périodiquement près de la chaleur de mes racines. Je ne vous connais pas et d'ailleurs, comment le pourrais-je ? Comment pourrais-je vous différencier de vos semblables ? D'où je suis, vous n'êtes que des clones à la vie éphémère. Sitôt nés, déjà morts. Pendant que vous enchaîniez vos vies trépidantes à une vitesse ahurissante, moi, j'étalais mes branches, je plongeais mes racines dans la terre, j'étoffais mon feuillage, vivais de grandes amours avec mes frères jumeaux jusqu'à fusionner avec eux et ne faire qu'un.
Vous auriez bien du mal à vous figurer cette fusion élémentaire avec l'environnement. Votre arrachement tellurique, votre envie de vous propulser plus loin, plus fort, plus vite vous empêche de ressentir ce que nous, les Huorns, vivons en permanence : nous ne sommes pas de simples arbres, nous faisons corps avec les esprits de nos ancêtres, avec ceux de vos ancêtres, avec les fourmis qui rongent notre bois, avec le cours éternel de l'eau, nous sommes l'air dans nos branches, la pluie sur nos feuilles, l'abeille solitaire qui habite en nous, nous sommes le bruit sourd de la foudre qui s'abat sur les lourdes pierres de vos temples, nous sommes l'humus qui nous nourrit et même la pierre que nous détruisons. Nous sommes la Terre, et plus encore...
Ce déracinement ne vous aide guère, je le vois bien. En perpétuelle recherche de stabilité, en perpétuel état d'angoisse face à la mort... Je vous plains plus que vous ne l'imaginez.
Pourtant, indubitablement, vos constructions, votre art, vos pensées, vos espoirs, tout ce terreau qui coule dans les veines de la Terre et qui fusionne avec chacun des représentants du Règne des Immobiles, tout ceci représente une force de fascination incomparable. C'est ainsi que nous nous sommes éveillés à la conscience claire de nous-même, en absorbant vos restes.

Les vieux mythes sur les arbres gardiens sont vrais, et s'il est tout aussi vrai que les derniers Surnaturels de cette Terre nous ont appris à parler, à penser, il n'est qu'encore plus vrai que nous sommes gardiens d'un savoir inestimable. Le vôtre. Le nôtre. Celui des vivants et des morts.
Souvenez-vous en quand vous serez sur le point de disparaître : ce jour-là, nous nous retrouverons. Ensemble nous fusionnerons et vous nous apporterez à tous toute l'étendue de votre personnalité, de vos connaissances et de vos rêves...

Arrêtez-vous de galoper un instant. Étendez votre esprit dans le ciel, ancrez-vous dans la terre, humez l'air et l'eau, la terre et l'instant. Sortez de vous-même et peut-être commencerez-vous à nous entendre dans notre propre langue. Une langue de bruissements au vent d'est, de craquements au cœur des tempêtes et de silences au sein de l'hiver... Peut-être commencerez-vous à percevoir la nature même des instantanés d'éternité que vos plus éminents poètes ont touché du doigt... Ainsi que la simple réalité du peuple des Arbres.