À l'ombre multicentenaire des figures de pierre, protégés par les ancestrales ciselures de la roche à même la voûte du lieu, les fidèles se recueillaient, épars, devant la traditionnelle crèche.
Alors que les ténèbres s'intensifiaient de minute en minute et que la noirceur de la nuit s'avançait à la vitesse de battements d'ailes d'un dragon, de pieuses personnes s'avançaient à la lueur des cierges, allumaient une bougie, priaient leur dieu, leurs saints, leurs saintes, demandaient leur intervention, leur intercession pour qu'enfin l'obscurité laisse place à la lumière, que le Bien triomphe du Mal et que jamais l'avancée de la nuit ne triomphe de la puissance solaire du dieu incarné qui s'était jadis sacrifié pour eux et leurs âmes.
Sans doute nombreux à ignorer toute la portée rituelle de l'allumage d'une bougie en pleine nuit, ils venaient pourtant les uns après les autres, illuminant de leur espoir l'espace vertigineux où habite ce dieu si prompt à pardonner aux Hommes leurs folies et leur ignorance.
Moi-même, jeune athée dans la force de l'âge, pourtant habitué à ne point reculer devant l'ombre déformante des dieux, je me vis quelque peu ému face à l'ambiance feutrée, calme, austère et pourtant emplie d'espérance - "Espérance", moi dire cela ? Que m'arrive-t-il ? - de cette église, lieu sacré où hommes et femmes, vieillards et enfants, venaient et viennent encore chasser les démons de leurs esprits, ces démons si particuliers qu'aujourd'hui nous appelons culpabilité, remords, angoisses, peurs, et que les psychologues appellent troubles psychiques, troubles de l'identité, troubles mentaux, phobies...
Il y a du sacré en l'humain. Non pas cette transcendance divine dont tentent de nous rabâcher les oreilles les curés lors de la messe du dimanche matin, mais bien cette immanence toute particulière de l'humain, cette déférence et cette angoisse face aux seuls esprits capables de venir nous hanter que nous y croyions ou pas. Face à la seule angoisse que partagent tous les humains : l'angoisse des morts.
Si aujourd'hui encore l'athée que je m'incline à être continue à être impressionné par la beauté respectueuse de ces lieux de culte, c'est bel et bien parce que même l'athée le plus féroce, même l'anticlérical le plus acharné salue la mort avec respect quand elle vient frapper à sa porte.
La mort est partie intégrante de la vie, et ces bougies résonnent à la fois comme un memento mori et comme un "pas maintenant".
Souvenons-nous que nous sommes mortels, et souvenons-nous de demander à la Mort "pas maintenant" lorsque de mauvaise grâce nous hantons les mêmes lieux qu'Elle.
Car voici le seul et unique dieu de l'Humanité entière : celui qui donne et reprend. Celle qui épargne et qui fauche.
Valar morghulis.
Bien vu et bien écrit. Je pense finalement que je suis encore plus athée que toi. ;-)
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