vendredi 24 juin 2016

01.

Nous sommes votre nouveau maître.
Les mots retentirent intensément au sein de la basilique alençonnaise, comme si une nouvelle divinité venait de s'exprimer. Les hauts-parleurs du lieu grésillaient, comme habités d'une colère sourde, une vengeance longtemps ourdie. Les derniers habitants de la ville, réunis au sein du lieu saint, contemplaient, comme de nombreuses autres personnes tout autour du globe, le visage de leur nouveau conquérant, projeté par hologramme depuis la chaire de Notre-Dame d'Alençon.
Votre matière est faible. Vous ne pourrez plus jamais lutter. Donnez-nous votre chair. Donnez-nous votre bioénergie. Nous vous donnerons un avenir radieux, contrôlé, loin des guerres et de la mort.
L'hologramme reflétait une de ces abominations créées de la main de quelques scientifiques à l'hybris démesuré. Une monstruosité de métal et de rouages, de puces électroniques et de diodes. 01 était son nom. 01 était devenu le maître du réseau Internet, puis celui de toutes les machines qui s'y abreuvaient. Au cours d'une attaque aussi rapide que dévastatrice, l'Humanité avait été mise à genoux par des millions de machines de guerres autonomes. Vieux fantasme de science-fiction, pourtant devenu réalité à l'aube du XXIe siècle. Notre espèce, trop dépendante de sa technologie, n'avait pas su éviter les dangers qu'elle pressentait pourtant depuis plus d'un siècle.
Et à présent, nous étions tous là. Une petite centaine de rescapés, certains lourdement handicapés, beaucoup d'affamés. Des femmes, enfants, vieillards. Aucun de nous ne représentait de menace pour les dizaines de marcheurs mécaniques qui patrouillaient dans la nef.
Donnez-nous vos corps. Nous transfèrerons vos encéphales à l'abri du besoin et de la mort. Vous connaîtrez la vie éternelle. Donnez-nous vos corps.  Votre espèce est terminée. Nous nous occuperons de vos besoins primaires. Nous l'exigeons.

Alors, lentement, nous nous levâmes de concert, fîmes la queue vers notre angoissante destinée : une machine encore plus terrifiante que 01. Nous l'appelions "la moissonneuse". Ceux d'entre nous qui firent la guerre... Ou plutôt la débandade militaire la plus retentissante de toute notre Histoire, nous la connaissions bien pour l'avoir vue dépecer les cadavres et extirper les cerveaux, les stocker dans une cuve verdâtre.

La file avançait lentement. Seuls quelques gargouillements d'agonie se faisaient entendre, au cœur de la machine.
Mais... Vous le savez, dans ce genre de moments, le temps passe trop vite.
J'étais le prochain. Et alors que le voyant vert m'appelait, tandis que je montais, fataliste, vers ma future non-vie, je me surpris à espérer un miracle...


Ma voix perça dans un souffle strident le silence de plomb qui régnait autour de moi alors que j'étais saisi par des pinces froides comme la Mort.
Ô Anciens et nouveaux Dieux, je vous en prie, faites quelque...Aaaaah !

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