vendredi 19 juin 2015

De la matérialité des fantômes...

Dis tonton, c'est vrai cette histoire que tu m'as racontée avec le fantôme ? Tu sais, celle où une dame  est tirée par un cheval avec les cheveux ?
Hélas non, mon petit. Il y a tant d'histoires, tant de contes et légendes dont les origines sont douteuses ou fausses. En vérité, cette légende est incohérente pour plusieurs raisons. D'abord le texte de la légende, parvenu jusqu'à nous, mentionne le Parc des Promenades. Il est certes le plus vieux parc de la ville d'Alençon, mais celui-ci n'a été fondé qu'en 1783. Six ans à peine avant la Révolution Française, oui...
Il y a donc beaucoup de documents datant de cette époque dans les archives départementales. De plus le château a beau être pour le moins parcellaire, nous en savons à présent assez long sur son histoire, son organisation et sur les châtelains qui l'ont habité.
Le preux Renaud et sa femme Marie Anson n'ont, de source aussi sûre qu'il puisse être, jamais existé.
De plus il est à peu près certain que cette légende a des origines plus lointaines que la fin du XVIIIe siècle. À supposer que la légende soit apparue au XIXe siècle, les colporteurs de cette rumeur avaient nécessairement fait une erreur de chronologie en répandant le sang de Marie Anson sur les arbres et buissons du Parc des Promenades. Cette légende a probablement des racines très anciennes, extrêmement anciennes en vérité. Cet ajout du Parc des Promenades n'a dû arriver qu'avec le XIXe siècle... Il serait très douteux que cette histoire se passât entre 1783 et 1789 et qu'elle fût écrite quelques décennies plus tard seulement.
Oui mais tonton, qu'est-ce qui te dit que c'est pas juste un écrivain qui a écrit cette histoire au XIXe siècle en entier et qui a dit qu'elle se passerait en 1783 ?
C'est possible mais la légende de Marie Anson fait référence à une histoire vraie, beaucoup plus ancienne, et beaucoup plus susceptible d'être à l'origine de la rumeur devenue plus tard légende grâce à l'imagination populaire.
Vois-tu, tout remonte à l'époque des Mérovingiens; la reine d'Austrasie Brunehaut est morte de la main de Clotaire II, roi de Neustrie, en 613 de cette manière : attachée par les cheveux à un cheval fou et traînée par le cheval jusqu'à la mort. Brunehaut était l'ennemie de Frénégonde, la mère de Clotaire II. C'était une époque violente à n'en point douter...
Cette exécution sauvage date du premier millénaire de notre ère; il n'est point hasardeux d'imaginer que cette mort historique et atroce se soit répandue un peu partout au fil des siècles et ait, à au moins un endroit de France, donné naissance à une légende de femme attachée par les cheveux à la queue d'un cheval fou.
Cela étant, le thème global de l'amour bafoué fait effectivement penser au travail d'un de ces romantiques du XIXe siècle qui ont contribué à réécrire l'Histoire de France, allant jusqu'à l'inventer.

Il n'est cependant pas absurde de penser qu'une telle légende existe de longue date parmi les gens du pays d'Alençon. Certains symboles d'Alençon sont très anciens. Ainsi, regarde cet aigle : l'aigle bicéphale dorée est le signe héraldique de la ville ainsi qu'un vieux symbole de l'empire germanique et ce, dès le XIIIe siècle. Les histoires marquantes sont comme les vieux signes : ils traversent le temps...

Et pour tout te dire, j'ai moi-même apporté des nuances à l'histoire de Renaud. La légende officielle désapprouve totalement le fait que Renaud se grime en prêtre. Et de manière plus générale, la peinture que j'ai faite de Renaud et de son histoire d'amour est complètement romantique, ce qui est une interprétation personnelle de ce que la légende raconte, qui pourtant laisse la part belle au romantisme.

Les légendes, comme les contes, sont des leçons pour les enfants, mon petit. Leur message importe bien plus que leur réalité. Il n'est pas utile que les ogres existent pour comprendre le danger de se laisser embobiner par un adulte inconnu. Et de nombreux adultes sont effectivement de "vrais" ogres, en chasse d'enfants inconscients du danger qu'ils représentent. De plus les histoires d'enfants et d'ogres restent toujours de chouettes histoires à raconter au coin du feu, n'est-ce pas ?
Allez, va rejoindre ta sœur, petit garnement. Dis-lui de venir ici, on rentre à la maison. Mais ne parle pas aux inconnus !

1 commentaire: