-Madame et monsieur Laval, s'il vous plaît. Entrez, je vous prie...Installez-vous.
Bon, il est évident que des circonlocutions seraient fastidieuses et inutilement douloureuses. Mon travail n'est pas de remuer le couteau dans la plaie. J'ai donc ici comme vous l'avez demandé le dossier de votre fille Chloé. Il n'est pas dans les habitudes de ma profession de dévoiler son contenu, mais... Vu les circonstances.
Que voudriez-vous donc savoir ?
-Oui, euh... Docteur, nous aimerions simplement comprendre ce qui s'est passé. Comment notre fille a pu craquer à ce point. Vous savez, nous la croyions en sécurité à la capitale, entourée de ses amies et avec vous qui la suiviez... Pourquoi...Pourquoi ?
-Humm... D'abord, quand j'ai rencontré votre fille pour la première fois, elle semblait profondément - pardonnez-moi ce terme, mais faute d'un meilleur.... - normale et sinon équilibrée au moins en pleine possession de vraies défenses psychiques contre les aléas de sa vie de jeune étudiante.
Mais avec les séances, elle a commencé à baisser sa garde, et j'ai eu en face de moi une jeune adulte très troublée, très tourmentée. À fleur de peau. Elle a commencé à présenter tous les symptômes typiques d'un syndrome de stress post-traumatique qu'elle cachait jusque là si bien. Je dois avouer que je n'avais jamais rien vu de tel. Une jeune adulte de 19 ans, capable de maîtriser des angoisses pareilles sous mes yeux en quelques secondes, c'est assez inédit...
Puis elle m'a parlé de cet... incendie qui avait eu lieu dans sa jeunesse et dans lequel il me semble que vous avez perdu un fils.
-...Ou...Oui, c'était quand elle était toute jeune, elle avait à peine cinq ans. Elle aimait beaucoup son petit frère vous savez.
-Mais visiblement vous n'avez jamais su comment le feu avait pris ? D'après Chloé, vous madame, étiez devenue pyrophobe, ou pour être clair, vous avez développé une peur panique des incendies et de tout ce qui risquait d'en déclencher. Quant à vous, monsieur, je crois que vous m'aviez confié avoir traversé une phase de dépression durant trois ans à la suite de ce drame.
Il est évident qu'un tel traumautisme - perdre son petit frère, sa maison, voir ses parents accuser le coup - n'a pas été sans conséquences sur votre fille. Surtout en tant qu'unique survivante. Elle s'est certainement renfermée sur elle-même dès ce jour-là. Et puis, elle avait ce don qui l'a sauvée et qui lui semblait tellement injuste qu'elle l'a tu, caché, enfoui.
- Un don ? De quoi parlez-vous docteur ?
-Vous me croirez peut-être fou - aussi fou que peut l'être un expert psychiatre près la cour d'Appel de Caen - mais tout me conduit à penser que votre fille était une pyromancienne.
-U...une pyromane ? Elle...Non, elle n'a pas... Ce n'est pas...
-Non, madame. Pas pyromane. Pyromancienne. Une mage de feu, si vous préférez. Je l'ai vue faire. Lors d'un de nos rendez-vous elle m'a avoué en être capable et m'a fait une démonstration de ses...extraordinaires capacités en réduisant en cendres le contenu de ma corbeille à papier.
La maîtrise de talents magiques est un don extrêmement rare sur cette Terre. À l'heure actuelle on compte tout au plus une dizaine de personnes capables de faire léviter des pièces de monnaie - ceux que l'on nomme "les Onze élus" dans la presse à succès et, de manière plus anecdotique, quelques dizaines de véritables télépathes. Concernant les pyromanciens, il n'existait jusqu'à présent que des rumeurs au sujet de leur existence.
Il y a quatorze ans, le jour du drame, elle était la seule survivante, miraculeusement indemne, alors que, si je lis bien, votre babysitter...et donc son petit frère, ont péri dans l'incendie. Je conjecture peut-être beaucoup, mais cela me semble être une caractéristique de ce que doit être la pyromancie : la maîtrise du feu et l'invulnérabilité face à celui-ci.
Indemne physiquement, évidemment. Par la suite, elle a développé tout un arsenal de défenses psychiques qui la rendaient impénétrable aux yeux des autres et, d'après elle, lui permettaient aussi de maîtriser ses pouvoirs. Il y a eu effectivement des études sur ces dons rares, et ils sont corrélés systématiquement avec une personnalité obsessionnelle-compulsive. Des individus dans l'excès de contrôle personnel. Cet excès leur sert visiblement à domestiquer leurs pouvoirs, qui autrement, les rongent de l'intérieur.
Nous autres psychiatres n'avons aucune idée de la façon d'accompagner des individus si particuliers, parce qu'ils sont si rares que nous ne savons rien sur ce que ces dons impliquent, profondément, viscéralement. Tout au plus avons-nous quelques témoignages. Mais les "Onze élus" ne sont pas plus impatients de voir un psy que quiconque.
-Mais ça n'explique pas ce qui s'est passé au sein de votre établissement ! Je vous rappelle qu'elle était en soins intensif, et que vous étiez censés prêter particulièrement attention à elle ! Pour ma part je vous prends comme responsable de ce qui est arrivé.
-Monsieur Laval, s'il vous plait. J'y viens. J'en viens à ce drame qui a eu lieu dans mon établissement (sous les yeux de deux infirmiers, je vous le rappelle. Nous la surveillions tout particulièrement, même pour quelqu'un en soins intensifs.).
Lorsque votre fille Chloé a réclamé à être hospitalisée dans mon unité, elle semblait complètement dépassée, bouleversée... Elle tremblait beaucoup et la médication qui lui a été proposée n'a pas suffi à l'aider. Nous l'avons donc amenée en soins intensifs, à l'abri des regards et sous la surveillance constante de deux infirmiers qu'elle connaissait bien.
Lors de mes échanges quotidiens avec elle, j'ai constaté que les défenses psychiques étaient retombées, brutales et imprenables. Elle ne semblait plus concernée par ce qui se tramait autour d'elle, par ailleurs son pouvoir semblait la ronger massivement, enfermé qu'il était au fin fond de son psychisme, bouclé à triple tour.
Ce qui s'est passé précisément ce douze avril 2023, je ne suis pas en mesure de vous l'expliquer. Mais ce que je peux en comprendre, c'est qu'elle a brutalement décompensé... L'équilibre entre ses défenses et son don a rompu d'un seul coup. S'est ensuivi ce qu'on pourrait appeler...faute d'un meilleur terme, disons une explosion de magie. Tout s'est mis à léviter dans la pièce, même mes deux collègues infirmiers et ce qu'ils avaient sur eux et... pour finir votre fille a disparu dans un vortex de flammes, ne laissant aucune trace hormis ses vêtements.
Elle m'a demandé de l'aide, et je n'ai effectivement pas réussi à l'aider. Il y a un élément qui manque au puzzle. Il y avait chez elle un sentiment qui la rongeait, en plus de son don, cela elle n'a pas pu me le cacher, mais elle n'a jamais voulu m'en dire quoi que ce soit.
Vous savez, les êtres humains sont parfois de véritables coffres-fort, avec de nombreuses serrures et des clés complexes. La dernière clé, celle qu'elle refusait de me donner, cachait plus que le traumatisme de l'incendie... J'aurais aimé sincèrement connaître ce qui se cachait au fond du coffre-fort.
Voilà, vous en savez autant que moi à présent. Tenez, voici une copie du dossier. J'espère, madame, monsieur, que quoi que vous décidiez d'en faire, il vous aide dans votre recherche de vérité...
Quant à moi, n'hésitez pas à me solliciter au besoin.
-M...Merci docteur... Une dernière question : Est-ce qu'elle tenait un journal personnel ici ? Je crois savoir que certains patients le font.
-En effet. Non, durant tout son séjour ici elle n'a pas écrit une ligne, bien qu'elle disposât de tout le nécessaire si elle l'avait souhaité. Le coffre-fort était bien fermé à triple tour.
Dans le monde de Harry Potter, je n'aimerais pas être psy...
RépondreSupprimerBravo pour ton constant renouvellement.
En même temps, ça m'aurait amusé de lire des articles de psychanalystes de Psychologie.con expliquer en quoi le refoulement de l'homosexualité de Gandalf est responsable de son caractère manipulateur envers les puissants. :D
RépondreSupprimerEt puis rien que de savoir Voldemort catalogué comme Pervers Narcissique, ça aurait de la tronche ! :)