vendredi 24 avril 2015

Les fantômes du Chêne de Raveton...

Tonton, Tonton, dis, tu nous raconte une autre histoire ? Une autre histoire de fantômes ! La dernière elle était trop marrante ! Allez, dis oui !
Ah mes sacripants ! Toujours prêts à entendre votre vieil oncle radoter les mêmes histoires. J'ai ouï dire de par votre mère que vous étiez intenables hier soir au coucher. Alors je me demande... Fais-je bien de vous raconter une autre histoire de spectres alors même que vous cassiez les pieds de vos pauvres parents pas plus tard qu'hier ?
Allez... On est des gentils neveux ! Et puis promis on sera plus sages maintenant. Et tu racontes si bien les histoires, on dirait un vrai conteur. Allez, mon gentil Tonton. On t'adore tu sais...

Ah, mes petits garnements, vous aimez passer de la pommade dans le dos de votre oncle hein... Vous savez y faire. Eh bien soit, qu'il en soit ainsi.
Je vais vous raconter l'histoire des fantômes du chêne de Raveton. Mais que je ne vous entende pas moufter pendant que je vous raconte !

Très bien. Donc commençons...
Cela se passait en 1889, à une époque donc pas si lointaine. À cette époque la noblesse d'empire était encore riche et stricte sur les notions d'honneur. Les grands bourgeois non encore anoblis les imitait volontiers. La famille Monteclerc était des premiers.
Or il se trouve qu'à Raveton, la famille Monteclerc possédait de nombreuses terres et notamment un champ où était planté un vieux, large et splendide chêne. Leur fils Jean était un fort et beau jeune homme promis aux plus hautes fonctions attaché au député de sa circonscription, et commençait à fortement laisser son empreinte dans les hautes sphères de l'Assemblée Nationale.
Par un pur hasard, son cousin Guy était un de ses collègues attachés à la chambre basse, auprès du député de la circonscription de Laval. Les deux cousins se côtoyaient donc beaucoup et se trouvaient fréquemment l'un chez l'autre.
C'était un jour où Guy Monteclerc se trouvait de passage à Raveton, dans la demeure d'été des Monteclerc que Jean lui proposa de faire la fête au bal populaire de Montabard qui avait lieu pour la soirée du 14 Juillet. Les deux beaux jeunes hommes, enchantés à l'idée de séduire de belles et fringantes jeunes femmes - ces deux demoiseaux étaient certes noble d'une vieille famille, mais peu portés sur la tradition et quelque peu coureurs de jupons à leurs  heures perdues- s'apprêtèrent le soir même à se rendre au bal. Au bal ils allèrent bel et bien, et y firent une rencontre qui allait changer le cours de leurs vies.
En effet, tandis que Jean séduisait une demoiselle répondant au doux nom de Rose, Guy ne trouva rien de mieux à faire qu'arriver à faire trébucher Rose, qui s'écorcha le genou en tombant. Inutile de dire que Jean ne revit pas la demoiselle de la soirée et que les deux jeunes cousins se trouvèrent bien embarrassés. Tout particulièrement Guy, et nous le verrons bientôt dans mon récit.
Car en effet tout le long du chemin du retour, Guy et Jean s'accablèrent de reproches, Jean accusant Guy d'avoir ruiné ses chances de conter fleurette plus avant à Rose, et Guy essayant de se disculper en signalant qu'il n'était pas convenable pour un Monteclerc de fréquenter si intimement la plèbe, qu'un Monteclerc se devait de se marier avec une femme de son statut et non une gueuse.
Ce terme particulier déplut beaucoup à Jean. En réalité il en prit ombrage. Un ombrage féroce. Emporté par la vexation et par plus de vin que de raison, Jean demanda Guy en duel afin de laver son honneur de Monteclerc, que si lui avait sali l'honneur de la famille pour une raison de fréquentations inconvenantes, l'honneur de Guy avait été sali également par son comportement grossier et indélicat envers la jeune femme.
Rendez-vous fut pris sous le chêne le plus beau, sur le pré le plus isolé des terres de la famille, le lendemain matin à l'aube. Il fut également décidé que si mort il y avait, il serait enterré sous le chêne dans le plus grand secret sitôt l'affrontement terminé.
À l'aube naissante, Jean et Guy vinrent comme convenu au rendez-vous sans aucun témoin, de peur d'être trahis par leurs proches et pris par la maréchaussée qui condamnait alors fermement les duels.
L'arme choisie par Jean était l'épée, aussi, alors que le soleil se levait doucement derrière les arbres, embrasant d'écarlate le pré herbeux, nos deux cousins se mirent en garde et commencèrent le combat. L'on raconte qu'au loin, quelques curieux virent des éclats de feu en direction du lieu du combat, au petit matin. Hélas Jean n'eut rapidement pas l'avantage, et se fit percer de part en part en plein cœur par son cousin.
Respectant le code d'honneur tel qu'il avait été convenu, Guy se mit à creuser la tombe de son cousin, non sans maudire ce dernier pour son inconséquence et pour l'avoir poussé à cet excès sanglant.
Malheureusement la belle Rose passa à cet instant devant le pré et vit Guy déposer le corps de Jean dans la fosse creusée. Épouvantée, elle partit en courant à travers chemins quérir l'aide des gendarmes.
Guy fut vite fait prisonnier et n'opposa d'ailleurs pas la moindre résistance lors de son arrestation. Condamné pour meurtre, il fut prestement guillotiné un an plus tard à Alençon.
Quant à Rose, meurtrie par le sanglant faits-divers auquel elle était indirectement liée et tourmentée par les révélations de Guy au tribunal, l'on raconte qu'elle se trancha les veines dans le même pré, tachant de son sang les marguerites qui fleurissaient sur la tombe de Jean.


D'après la légende, les âmes de Jean, de Guy et de Rose hantent encore ce pré et ce chêne tout particulièrement. On raconte même qu'à l'aube naissante du quatorze Juillet, on voit distinctement des spectres pâles s'affronter avec des épées de feu jusqu'à ce qu'une dame blanche traînant des fleurs dans son sillage arrive à leur hauteur. Ils se dissiperaient alors tous trois en un coup de vent, laissant sur place des fleurs de marguerite flottant au doux vent de sud.

Comme je le disais la dernière fois, il est important de laisser les morts reposer en paix. Certains ne trouvent malheureusement jamais cette paix, faute en est due le plus souvent à l'inconséquence, la colère, la boisson et autres fléaux pour les hommes de bonne famille. N'oubliez jamais ceci mes enfants. Les gens d'honneur, de véritable honneur, savent se comporter dignement en toutes circonstances, et ne perdent pas leur sang-froid pour des sottises, encore moins la vie.
Maintenant, allez vous coucher. Allez, allez !

3 commentaires:

  1. Belle histoire et belle morale. Tonton est-il un nouveau la Fontaine ?

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    1. Merci pour cette belle histoire, Tonton poil...

      J'ai pu bien visualiser les scènes avec ton récit...

      m.

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  2. Merci à vous deux. Tonton Poil n'est p'têt pas un nouveau La Fontaine, mais il est flatté de vos commentaires, et commence à se prendre pour Alain Delon car Tonton Poil est formidable.
    Bref merci à vous deux de vos gentils commentaires. Je suis content que ce texte vous ait plu. :)

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