vendredi 3 avril 2015

Dystopie juridico-punk...

-Messieurs, la Cour !

-Vous pouvez vous asseoir. Bien, j'appelle la première affaire. Les parties en présence sont Maître Furission, représentant le parc animalier d'Écouves, plaignant contre monsieur Ledoyenné, prévenu. Madame la Substitut du Procureur de la République Juniel représente le ministère public dans cette affaire. Monsieur Ledoyenné, vous avez pris décision avant le début de ce jugement d'être assisté d'un avocat commis d'office, celui-ci n'ayant pas été commis d'office lors de votre audition. Maître Elas s'est vu transmettre le dossier. Avez-vous pu vous concerter avec votre avocat ?

-Oui Votre Honneur !

-"Monsieur le Président", je vous prie. Nous ne sommes pas aux États-Unis, monsieur. Bien donc, le dossier, je vous prie. Merci. Alors... Le 21 Juillet 2014 à 17h30 environ le parc animalier d'Écouves vous reproche d'avoir pénétré dans un enclos et d'avoir... agressé sexuellement...Une biche ? Monsieur, pouvez-vous nous éclairer quelque peu sur le sujet ?

-Eh bien Votr...euh m'sieur le juge...

-"Monsieur le Président". Ce n'est peut-être qu'un détail, mais ce détail signifie beaucoup. Reprenons... Donc.

-Eh bien m'sieur le président, en fait je suis célibataire depuis trois ans. Ma copine m'a quitté parce que je buvais trop. Et bon, vous voyez m'sieur le président, la chose me manque pas mal depuis trois ans.

-Excusez-moi, c'est sans doute très intéressant, mais nous aimerions vous entendre sur votre version des faits de ce jour-là. Pouvez-vous nous raconter votre après-midi du 21 Juillet dernier ?

-Pardon, Votre Ho...Euh m'sieur le président. Ben en fait j'ai passé le début d'après-midi au bar de la place de la Pyramide, et euh... Ben j'ai p'têt pris un verre ou deux de trop.

-C'est peu dire. Lors de votre audition, les gendarmes ont relevé un taux d'alcool par litre d'air expiré de 0,75g. C'est trois fois la dose tolérée pour la conduite, monsieur. Bref. Continuez.

-Oui et euh... Je ne sais pas trop pourquoi mais mon dernier verre m'a donné envie d'aller voir les animaux du parc d'Écouves. J'avais envie de voir de jolies bêtes. J'ai toujours aimé les animaux vous savez m'sieur le... président.

-Ne vous dispersez pas, continuez. Les faits, monsieur. Rien que les faits.

-Eh beeen j'ai pris la voiture et j'ai roulé jusqu'au parc animalier. Je suis entré, j'ai payé mon ticket et puis je suis allé voir les animaux. Puis j'ai vu la biche dans son enclos, elle était pas loin de moi et j'ai vu...Euh... un petit trou tout rose... Je sais pas trop pourquoi, j'ai pas résisté, j'ai franchi la clôture, j'ai pris un préservatif et j'ai...eh bien, j'ai fait l'amour à la biche.

-Ah... Donc vous reconnaissez les faits ?

-Monsieur le Président, je tiens à signaler que l'expertise psychiatrique de mon client montre une simplicité intellectuelle et affective telle que cet homme ne devrait même pas se retrouver ici mais en structure de soins adaptée à son handicap. Il est tout bonnement intolérable qu'un homme aussi simple que mon client soit traîné sur le banc d'infamie pour un comportement que lui-même ne peut vraiment saisir. Durant l'heure que vous nous avez gracieusement accordé pour préparer sa défense, Monsieur le Président, j'ai découvert un homme complètement dépassé par les événements, son comportement et traumatisé par une garde à vue de 24h, lui, cet homme qui n'a pas une compréhension aussi aigüe que vous et moi du bien et du mal. Face à moi j'ai eu un enfant apeuré qui avait été pris la main dans le sac avec une violence sans commune mesure avec ce que ses facultés lui permettaient de prévoir. Excusez-moi, Monsieur le Président, mesdames les Assesseurs, mais accepteriez-vous de voir votre fils de 11 ans enfermé 24 heures durant dans une cellule de garde à vue, dans les odeurs d'urine rance et le bruit des cellules voisines où de véritables délinquants bien au fait de leurs actes hurlent des insanités à l'égard des gendarmes ? Pourtant c'est ainsi que l'on a traité mon client, monsieur Ledoyenné. Avez-vous lu la première page de l'expertise psychiatrique ? C'est la première chose qui saute aux yeux : l'expert estime son âge mental comme étant celui d'un garçon de 11 à 12 ans. La suite est éloquente : carences affectives béantes, immaturité sociale et sentimentale considérables. Mon client est allé de familles d'accueil en Instituts Médico-Éducatifs toute son enfance jusqu'à sa majorité. On le lâche dans la nature à ses 18 ans, prétendûment accompagné par un système d'aide sociale réduit à peau de chagrin depuis quinze ans et incapable de seulement gérer tous les cas similaires à mon client en institution, pour raison de manque de personnel et de moyens. Résultat, mon client fait la manche depuis 12 ans, dort dans une voiture d'un ami, se trouve des places parfois en secteur psychiatrique, où, gavé de médicaments psychotropes puissants, il joue le rôle de simplet shooté par les traitements. Il en ressort régulièrement au bout de quelques mois, retourne à la rue jusqu'au prochain ramassage. C'est déjà un miracle que mon client ne soit pas allé en prison. Dieu merci, il n'est pas violent... Pour l'instant. Il ne tient qu'à cette Cour de lui éviter cela et d'enfin imposer à une structure Médico-Éducative convenable, peu importe où en France, de lui trouver une place et de l'aider à enfin avoir une vie acceptable. Il est révoltant qu'en notre beau pays on laisse des enfants de douze ans, même dans des corps d'adultes, croupir entre la rue et l'hôpital, avant qu'on lui promette finalement la prison.

-Monsieur Elas ? Ai-je besoin de rappeler que j'ai sans doute lu le dossier plus que vous ? Je sais ce qu'il contient. Il est clair que monsieur Ledoyenné ne dispose pas de toutes ses facultés intellectuelles et je crois savoir que Madame la Substitut est d'accord avec moi pour lui épargner une peine de prison ferme.

-Tout à fait, Monsieur le Président. Il nous apparaît cependant indispensable de faire œuvre de fermeté face au comportement du prévenu qui s'il n'est pas accessible à la sanction pénale, a néanmoins besoin de comprendre qu'en République, qu'en société, il y a des règles à respecter. C'est pourquoi je demande la mise en place d'un suivi médico-judiciare et  une peine d'un mois de prison intégralement assortie du sursis. J'ai aussi ici les conclusions de Maître Furission, réclamant un euro symbolique de dommages et intérêts au prévenu, eu égards à sa limitation intellectuelle flagrante que tous les employés du parc ont noté.

-Monsieur le Président, Mesdames les Assesseurs... Je vous prie de bien réfléchir à cela : ce n'est pas d'un suivi judiciaire ou médico-judiciaire dont monsieur Ledoyenné a besoin, mais d'une simple et complète prise en charge Médico-Éducative. Cet homme qui se tient devant vous. Cet enfant dans ce corps d'homme qui se tient devant vous n'a rien d'un délinquant. C'est un enfant perdu dans un monde trop grand et trop hostile pour lui. C'est un être sur lequel la vie s'est acharnée avec une férocité rare depuis sa naissance. Je vous rappelle qu'il est sans domicile fixe à l'heure actuelle et qu'il vient de passer deux semaines en maison d'arrêt. Deux semaines qu'il ne méritait pas. Vous le dites vous-même, Monsieur le Président : la prison n'est pas faite pour lui. Vous rappelez-vous ce qui arrive aux pointeurs en prison ? Vous rappelez-vous qu'il a passé deux semaines en tant que pointeur en maison d'arrêt ? La République ne doit pas condamner mon client, Emmanuel Ledoyenné, pour les carences qu'il a subies par sa faute. Par notre faute à nous autres citoyens , par notre faute à tous, de n'avoir pas su protéger les plus fragiles. Je le dis clairement. La République lui doit réparation pour ce parcours dramatique. Aujourd'hui vous avez possibilité de relaxer mon client et de contraindre la société à la juste réparation de son préjudice. Ce dossier est jonché d'irrégularités qui auraient dû faire sonner l'alarme plus tôt. Il est trop tard pour que je défende plus sur le fond mon client, hormis par son dossier d'expertise, n'ayant eu qu'une heure pour préparer un semblant de défense.
Mais je souhaite poser une dernière question à la Cour, malgré tout le respect que je vous dois, toute la déférence que je dois à la Justice de notre pays et son esprit des lois... Pourquoi donc monsieur Emmanuel Ledoyenné, se tient-il donc là devant vous malgré son dossier d'expertise psychiatrique éloquent ? Je n'ose croire que la Cour ait pu rester indifférente devant ce document.
Aussi je soutiens la relaxe pure et simple de mon client.

-Bien... Bien... Messieurs, la Cour se retire pour délibérer.


-Oh la vache, c'était quoi ce dossier ahurissant ? Ils vont pas le condamner quand même ? À votre avis, mon cher confrère, comment ce pauvre homme a pu atterrir là ?
-Oh, la routine, trop de dossiers à gérer, pas le temps de tout lire, se contentent juste des rapports des gendarmes et basta !
-Quand même, c'est pas humain. Combien de types ont eu l'occasion de le libérer et de sonner l'alarme ? Le président en plus a été particulièrement sec, ce coup-ci.
-Oh, ne vous en faites pas. Je crois que Elas notre cher confrère l'a bien ébranlé. Sa spécialité c'est le droit des étrangers. Des situations ubuesques, il en mange douze au petit-déjeuner.
Ne vous en faites pas, ce monsieur est déjà relaxé. Ils se sont retirés pour ne pas perdre la face. Cela ne devrait plus tarder.




-Messieurs, la Cour !


-Veuillez vous asseoir. Monsieur Ledoyenné, levez-vous.
Au chef d'inculpation principal d'agression sexuelle sur animal, au chef d'inculpation secondaire d'exhibition sexuelle et au dernier chef de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, la Cour vous reconnaît coupable.
En conséquence, vous êtes condamné à trois mois de prison ferme, je décerne également mandat de dépôt. Vous êtes condamnés aux dépends et à l'euro symbolique de dommage et intérêts. Je fais également annuler votre permis de conduire.

-Quoi, il n'est pas sérieux ?
-Je crois que si... C'est délirant...

-La séance est levée !





[ndTonton Gilles : Cette histoire est purement fictionnelle, toute ressemblance avec quoi que ce soit et qui que ce soit ayant réellement existé quelque part dans le multivers est purement fortuite et en aucun cas le fruit de ma volonté. Ceci est une dystopie juridico-punk dans laquelle il est fort probable que le connaisseur en Droit français reconnaisse typiquement le mekesskidi cher à Maître Eolas, c'est de la fiction pure, donc je prends des libertés avec tout, y compris  avec le droit le plus élémentaire..]

1 commentaire:

  1. Les personnes handicapées sont souvent considérées avec des daims.
    Tu ferais un bon avocat.

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