vendredi 4 mars 2016
Souvenirs d'un être cher...
J'ai connu Jean très jeune. Lui ne l'était pas autant que moi. En vérité, il s'agissait de mon grand-père et grand-père à mes yeux il a toujours été : pour moi son âge reflétait bien plus la noblesse et la droiture de Jean que sa fragilité.
Jean était un Normand comme on peut s'imaginer l'archétype du Normand de la campagne : large d'épaules, blond aux yeux bleus, aimant la bonne chère, certes peu causant, mais beaucoup plus ouvert d'esprit que ce que ces chipies d'apparences pouvaient laisser deviner.
Car oui, Jean était de ces êtres qui savaient accepter les autres tels qu'ils étaient.
Surtout, Jean était plus qu'un grand-père ouvert, très ouvert d'esprit. C'était un honnête homme. Sa probité et sa simplicité paraissaient légendaires à mes yeux d'enfant et d'adolescent. Pourtant, Jean était véritablement peu loquace concernant l'homme qu'il était. Néanmoins, tout dans son comportement, son parcours, son histoire personnelle respirait la droiture, ce genre de droiture qui paraissait jusque dans la manière dont il entretenait son jardin.
Jean n'avait guère besoin de discourir des heures durant pour partager ses valeurs et ses idées.
Pourtant, l'image qu'on pourrait s'en faire jusqu'à présent, d'un homme peu sentimental, guère démonstratif, voire peu impliqué dans la vie de sa famille -sa tribu, oserai-je dire, tant il est vrai qu'il fut le père, le grand-père, l'arrière-grand-père et même l'arrière-arrière-grand père d'une flopée d'enfants- cette image donc, serait pour le moins totalement erronée.
Deux souvenirs particulièrement démonstratifs de qui il était, deux souvenirs qui me tiennent particulièrement à cœur me reviennent en mémoire chaque fois que je songe à lui.
Le premier :
J'avais six ou sept ans et avais obtenu via une de ces publications destinées à la jeunesse qui foisonnaient dans la fin des années 90 un sachet de graines de radis.
Il n'en fallait pas plus pour que l'on me propose de les planter dans le jardin de mes grands-parents. Jean se chargea de m'aider à cette tâche.
Je me souviendrai toujours avec émotion de son regard, son ton de voix qui trahissaient une fierté, une émotion toutefois très contenue d'apprendre à un de ses petits-fils les bases du jardinage. De lui apprendre comment espacer les radis, comment tracer un sillon pour semer les fameuses graines avec la rigueur mathématique qui le caractérisait, et qui le fit sourire quand il constata que je prenais un peu trop au mot cette constance dans l'espacement des futurs radis sous son regard et celui de ma mère.
C'était un de ces moments de partage, un de ces moments de transmission, qui comptent véritablement dans la vie d'un enfant. Ce jour-là, mille étoiles brillaient dans mes yeux pour Jean.
Le second :
J'avais vingt ans. En réalité nous fêtions précisément l'anniversaire de mes vingt ans. Âge symbolique et plein de promesses pour l'avenir, malgré une adolescence tourmentée et un début d'âge adulte laborieux.
Mes grands-parents étaient de la partie, évidemment.
Ce qui me marqua définitivement fut l'instant où, ayant soufflé mes bougies, Jean entama le fameux air de son temps "On n'a pas tous les jours vingt ans !"... Il l'entama, l'air hilare. Heureux, tout simplement, heureux pour moi. Ses yeux pétillaient de joie et son sourire s'étalant d'une oreille à l'autre montraient bien que ce moment comptait pour lui.
Oui, sans aucun doute, sa famille comptait beaucoup à ses yeux. C'est ce qu'il enseigna d'ailleurs à ses enfants, qui l'enseignèrent aux leurs. La famille par-dessus tout, y compris par-dessus le travail, lui qui connaissait pourtant la valeur de l'effort.
Même s'il n'était pas un grand bavard, Jean disposait d'un grand, d'un très grand cœur. Tous ceux qu'il aimait peuvent en témoigner. Il était un grand-père aimant.
Il y a quatre ans et un jour, Jean décédait après une longue vie, une vie honorable, parmi les plus honorables qui soient.
Vous me rétorquerez peut-être que j'en parle avec mes mots de petit-fils attaché à son grand-père.
Peut-être...
Mais je l'aimais. Nous l'aimions... Tout comme nous aimons nous souvenir de qui il était, dans sa simplicité et sa probité. C'est tout ce qui compte.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Les mots justes pour décrire une vie droite comme il y en a peu.
RépondreSupprimerJe revendique au moins un tabouret pour mon héritage...
Merci, très cher Tonton Gilles pour ce bel hommage rendu à un homme de coeur, qui est aussi mon père....pour tous ceux qui composent notre tribu il est des souvenirs comme ceux que tu nous a conté :il en est un qui me bouleverse encore aujourd'hui, laisse -moi te l'offrir : C'était le jour de mes 18 ans et je devais partir dans les jours qui suivaient à Paris pour mes études d'infirmière....mon père est venu me retrouver dans ma chambre en catimini, grave et silencieux; il s'est assis prés de moi et sans un mot avec des larmes au bord des cils m'a offert un flacon de parfum ...il m'a serré dans ses bras et nos larmes ont pris le dessus...puis, quelques mots sont sortis du bout des lèvres : fait attention, fait le pour ta mère, tu vas y arriver ! c'était sa façon de me dire "je t'aime ma fille"......C'est fou ! j'ai quelques larmes qui ne demandent qu'à s'échapper ...Merci encore cher tonton Gilles.
RépondreSupprimerTon souvenir de Jean montre totalement qui il était. Merci de l'avoir partagé ici... Nous qui l'avons connu savons à quel point il était aimant, malgré les trompeuses apparences.
RépondreSupprimerEt merci aussi au Lutin d'Ecouves pour son commentaire.
(Et pardon aux autres lecteurs de ce blog : ce billet est pour ainsi dire une exception... Mais ce blog est avant tout un endroit où je m'exprime librement, et en ce jour, c'était de Jean que je souhaitais parler. Je comprends bien que ceux qui ne l'ont pas connu n'ont pas autant à en tirer que les membres du Clan de Jean...)