Ainsi, madame, vous vous arrêtez vous aussi à Alençon ? Drôle de coïncidence... Vu la foule qui a incontestablement pris d'assaut le quai au Mans, j'aurais juré qu'il ne pouvait plus y avoir que moi à souhaiter m'y arrêter.
Oh, vous exagérez, monsieur... monsieur ?
Appelez-moi Gilles.
Oui, monsieur Gilles. C'est vrai qu'un train à ce point vide est une première pour moi, mais tout de même... Alençon doit certainement être une belle ville ?
Certes... Elle a son charme, dirons-nous. Mais dites-moi, pourquoi vous y rendez-vous ?
Oh mon bon monsieur... Comme beaucoup de gens, je ne sais guère où aller. Alors, pourquoi pas ?
Je vois. Quand est-ce arrivé ?
Il y a de cela deux mois, je crois... Monsieur Gilles, je dois avouer que cela m'a beaucoup perturbée et que je ne m'attendais pas à me retrouver au final dans un tel train. Vous pouvez... Enfin, vous êtes un habitué de la ligne ?
Oui, effectivement, je la prends chaque mois. Cela me repose de changer de paradigme de temps à autre.
Paradigme, paradigme... Vous y allez un peu fort, tout de même, mon cher !
Détrompez-vous. Alençon est un monde à lui seul, d'une certaine manière. Les mêmes personnes s'y côtoient depuis une éternité, en un languissant rituel social. Peu de gens y atterrissent de bon cœur, encore plus rares sont les gens à l'avoir délibérément choisi. Quant aux voyageurs comme moi, ils se comptent sur les doigts d'une main.
À ce propos... Oserais-je vous demander de me présenter les lieux notables de la ville quand nous serons arrivés ? J'avoue ne pas du tout savoir où aller.
Bien sûr, nous autres voyageurs sommes aussi là pour ça.
Vous êtes fort aimable. Mais... Dites-moi : combien de temps devrai-je y rester ? Personne ne m'en a parlé.
...Aussi longtemps qu'il vous faudra pour vous détacher de vos anciennes peurs, je le crains, madame. Faute de quoi, vous risquez d'y recevoir votre récompense... Votre éternelle récompense.
Mais...Mais, je... Comment ? C'est...
Vous ignorez encore grandement les règles de ce monde, n'est-ce pas ? Vous les apprendrez, tôt ou tard. Pour l'instant, nous arrivons à destination. Faites-vous à cette idée. Comportez-vous bien. Ne regardez aucun Maître dans les yeux. Et quoi qu'il arrive, rappelez-vous pourquoi vous avez atterri dans ce train : pour changer.
Je... regrette tellement...P-p-p-ourquoi...
Pourquoi avez-vous tué ? Pourquoi vous êtes-vous faite tuer ? C'est ce que vous êtes venue chercher ici. Des réponses.
Mais...mais... Mais je devrais être morte ! J'ai pris une balle dans la tête à dix mètres ! Je devrais ne même pas avoir conscience de quoi que ce soit ! C'est donc ça, la mort ? Répondez-moi !
N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des âges étranges peut mourir même la Mort, madame... Mais il est l'heure de descendre. Nous sommes arrivés.
N'oubliez pas : ne fixez jamais les Maîtres. Il en va de ce qui vous reste de vie. Quant à moi, vous me verrez souvent entre deux plans d'existence. Si nous devons nous reparler après le tour des lieux, ce sera au moment de votre départ.
Ce... ce lieu c'est celui qu'on appelle..?
Oui... Le Purgatoire.
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