jeudi 16 novembre 2017

Travailleur bénévole...


Aujourd'hui, point de discours sur le contexte de prise de vue de cette image.
Aujourd'hui, et bien que ce ne soit guère mes habitudes, nous allons parler de moi. Voyez ceci comme un instant blog, de mise au point, à l'approche de l'anniversaire des Rêveries de Tonton Poil. Ce sera aussi un moyen de philosopher sur la notion de travail.





Le travail.
Il est vu de deux façons opposées selon l'interlocuteur. La première, et la plus répandue, consiste à voir le travail comme une activité économique, c'est à dire une activité qui contribue au PIB de son pays de la manière la plus directe possible. Le must étant encore d'avoir un travail qui consiste à vendre ou fabriquer des choses à vendre. Nous le savons bien, être fonctionnaire n'est qu'à moitié vu comme un travail, précisément parce que de nombreux fonctionnaires n'ont pas une activité qui rapporte quoi que ce soit au PIB français.
Rajoutons à cela que cette vision du travail s'enrichit d'une grande tolérance pour des activités non-économiques, mais dont l'impact sur la tranquillité d'esprit du patronat est indéniable. Il s'agit bien sûr des activités de maintien de l'ordre, via la police et l'armée, et dans une moindre mesure la Justice, en bref toutes ces activités étatiques qualifiées de "régaliennes" et dont aucun patron ne souhaite avoir à gérer le fonctionnement.

Oui, vous l'aurez compris, je suis de l'autre versant, celui qui juge le travail comme une activité de transformation de son environnement.

Les marxistes (puisque c'est d'eux dont il s'agit) voient le travail comme une activité dont l'impact n'est pas tant économique que sociale, sociétale ou environnementale. En plus clair : un travail est une activité politique, politique au sens noble du terme, c'est à dire une activité qui prend place dans la vie de la Cité et qui agit sur cette dernière.

Cette vision du travail possède un immense avantage sur la précédente : elle réintroduit la politique comme centre de la vie d'un pays. C'est d'ailleurs la principale différence entre droite et gauche. La gauche considère que le politique est nécessairement la valeur suprême dans l'organisation d'une vie sociale, sociétale, économique... bref dans la vie d'un pays, là où la droite met diverses valeurs devant surplomber la politique et lui donner des directions arbitraires : la morale, la religion, le marché, l'ordre naturel des choses, mais aussi et pourquoi pas la Nature, la nation, la realpolitik et toutes ces valeurs qui avaient le vent en poupe depuis le commencement de la Ve République.

Fin du petit interlude marxiste.

Pourquoi parler de cette définition du travail et non de moi-même comme je l'avais précédemment annoncé ? Parce qu'il était nécessaire de mettre au clair les définitions que j'utilise pour introduire cet instant blog. Le voici qui commence vraiment :

Savez-vous que je fais des photos tous les jours depuis quatre mois ?
Quand je dis "tous les jours", je dis bien "tous les jours", pas juste les jours de semaine ou les jours de beau temps. Tous. Les. Jours.
En vérité, si on compte le nombre de jours où je ne sors pas pendant au moins une heure trente à deux heures faire des photos, en l'espace de onze mois je n'ai cumulé que... Cinq jours de repos.

Cinq jours.
Un rapide calcul vous signalera qu'un employé lambda connait en un mois sans congés au moins 8 jours de repos hebdomadaire à travers les week-ends. Même en travaillant six jours sur sept, on compte au moins 4 jours de repos par mois.

Je suis à 5 jours en 11 mois. Week-ends compris.

Mais voilà, il est de bon ton de me refuser le statut de travailleur au nom du fait que primo, je suis allocataire de l'AAH au nom de mon incapacité à effectuer un quelconque travail salarié, secundo je ne participe à aucune activité économique, même en tant que photographe amateur, tertio je n'ai aucune contrainte liée à l'exercice de ma passion, puisqu'il ne s'agit QUE d'un loisir. Que je le pratique intensivement n'entre pas en ligne de compte puisque je me repose sur l'argent de l'Etat et que je dispose de mon temps comme je le souhaite.


Pourtant, en tant que membre du Club Photo de Courteille, à Alençon, je suis également l'assistant du professeur du club, et suis régulièrement (toutes les deux semaines en gros) mis à contribution pour donner des cours à des personnes qui veulent apprendre les bases de la photographie.
Comme les associations ont obligation, dans leur bilan annuel, de calculer les heures de bénévolat comme équivalents d'heures salariées offertes gracieusement, et que je suis  à ce titre un bénévole, je participe, d'une certaine manière, à l'activité économique du pays, non ?

Pourtant on me le refusera encore.
Parce qu'un honnête travailleur a des contraintes liées à son travail..
Parce que, et c'est cela qui est la clef de voûte du travail salarié dans une société comme la nôtre, un travailleur, un vrai travailleur, peut se voir remercier si son travail ne donne pas satisfaction, parce qu'il est lié, par contrat ou par les seuls risques économiques liés à son activité, à une obligation de travailler pour vivre décemment.
Moi, je vis décemment parce que j'ai une allocation qui ne demande aucune contrepartie au vu de mon handicap.
Et heureusement.

J'ai beau photographier comme un acharné, j'ai beau penser photo, respirer photo, manger photo, boire photo, vivre photo, je ne supporterais toujours pas la pression d'un travail salarié, même en mi-temps thérapeutique, même en télé-travail.
Et cela, c'est très dur à expliquer sans passer pour "un fragile".
C'est d'autant plus triste que fragile, je le suis. Ce statut qu'est le mien est le seul dans lequel je ne risque pas ma santé.
Car oui, les contraintes, et particulièrement le stress lié au travail, sont de véritables périls pour ma santé.
Face à un homme à chapeau qu'ils aperçoivent tous les jours en ville à prendre des photos, harnaché comme un mulet, les gens que je rencontre ne s'imaginent pas que je suis handicapé, encore moins que je ne suis pas salarié ou à mon compte.
Je ne compte plus le nombre de personnes qui, me croisant, m'ont imaginé journaliste, photographe officiel de la ville, de la communauté urbaine ou du département, quand ils ne s'imaginent pas simplement que je suis un artiste photographe professionnel.

C'est flatteur, cependant, et cela correspond à un but dont je rêve secrètement : être reconnu comme photographe professionnel, quel que soit le domaine dans lequel j'officierais...

Mais la réalité me rattrape régulièrement. Et cette dernière me délivre inlassablement le même message : handicapé tu es, handicapé tu resteras.


Peu de gens reconnaissent pour l'heure mon travail (au sens marxiste du terme). Et je n'en conçois aucune amertume, au fond. Si je n'ai pas toujours eu cette distance vis à vis de ce jugement dur envers "les assistés qui piquent l'argent de l'Etat" et dont je fais partie, je sais à présent cependant qu'il existe un paradigme dans lequel je suis bien un travailleur.

...De ce genre de travailleurs qui font que notre société tient debout, de ce genre de travailleurs qui maintiennent à bout de bras certains services sans lesquels notre pays aurait bien du mal.


Bref, je suis un travailleur bénévole.



Sur ce, il est temps pour moi de retourner au turbin !

2 commentaires:

  1. Dire que l'AAH permet de vivre décemment,il faut le dire vite, on est largement sous seuil de pauvreté, non ?
    Sans le bénévolat, il ne resterait rien du tissu social, un sportif ne dira pas le contraire,dans mon club, lors du bilan comptable, le bénévolat représente une somme plus importante que les subventions.
    Tu peux être fier de ce que tu fais car tu participes à ta manière au fonctionnement de notre société qui ne serait qu'une jungle imbécile sans l'existence des gens de bonne volonté, les bénévoles.

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    1. Pour ta première remarque, oui il faut le dire un peu vite, mais n'oublions pas que le plus grand scandale lié à l'AAH n'est pas tant la valeur monétaire de l'allocation que l'impossibilité concrète de vivre en couple.
      Si je dis que je vis décemment, c'est parce que c'est vrai : je n'estime pas être mal loti. Mais je n'ai ni personne à charge, ni voiture, ni moto, ni addiction à l'alcool, au tabac ou à quelque drogue que ce soit, et surtout : je me contente de peu.

      Pour moi on peut vivre décemment en vivant chichement. Avant tout une vie décente, c'est une vie dans des conditions acceptables. Et j'estime mes conditions de vie comme acceptables.

      Mais oui, disons-le clairement : JE vis décemment avec l'AAH. Ce n'est pas nécessairement le cas de toute personne vivant avec l'AAH, et je suis même l'exception notable qui confirme la règle.

      Le bénévolat est une manière pour l'Etat de se désinvestir économiquement de ses responsabilités sociales, j'ai l'impression. On le voit bien avec les CAF qui se sont désinvesties de tous les centres sociaux au cours des décennies passées, alors que ces derniers ont été conçus comme des émanations de la Sécurité Sociale.

      Plus que jamais nous avons besoin de solidarité. Les actions bénévoles sont à la fois nécessaires pour la société et la raison pour laquelle l'Etat se moque des conséquences de son désinvestissement social.

      Il serait temps de se rappeler que nous vivons dans une République démocratique, laïque et sociale.

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