lundi 24 août 2015

La légende du plus ubuesque des viaducs...

Tonton, tonton ! Où est-ce que tu nous emmènes ?
Ah mes chers neveux, je vous emmène au Viaduc du Père Ubu. Vous qui aimez voir des ponts, vous allez être servis. On va même grimper un peu pour passer dessus.
Mais tonton, il est où le pont d'Ubu ? et puis c'est qui Ubu ? Pourquoi ça s'appelle comme ça ? Ça vient d'où ?
Ah... Intéressante question. Il faut pour ce faire nous plonger dans l'histoire du viaduc pour comprendre d'où lui vient ce curieux nom.
D'abord sachez que ce viaduc date du début du XXe siècle, du tout début en fait. En 1908 très exactement, les départements de la Sarthe et de l'Orne décidèrent de mettre en place huit lignes de tramways reliant Alençon et le Mans d'une part et de nombreux villages se situant sur une bande de 50 kilomètres du nord au sud. À l'époque, le tram constituait une façon simple et peu onéreuse pour que les agriculteurs et tous les habitants de la campagne puissent se rendre dans les villes et villages pour les différents marchés qui constituaient alors leur principale source de revenus. Nous parlons d'un temps où il n'existait pas de supermarchés, pas de Carrefour ni de Dia ou autres Aldi. Tous les produits périssables s'achetaient au marché. C'était un rendez-vous important de chaque commune où tous les habitants se retrouvaient, contrairement à la situation actuelle où seuls les retraités prennent encore la peine de les faire vivre.
Bref, 1908. Est votée l'installation d'une série de lignes de tramways reliant villes et villages dans le Pays d'Alençon et des alentours. Les travaux commencèrent et tout sembla aller pour le mieux.
Pourtant une incertitude demeurait concernant la ligne reliant le Mans à Alençon : par où passer ?
Décision fut finalement votée de la faire passer directement par Saint-Georges-le-Gaultier, riante bourgade comptant probablement déjà à l'époque autant de vaches et de corneilles que d'habitants.
Pour ce faire, il fallait absolument que la voie passe au-dessus de la vallée de la Vaudelle, faille profonde de plus de quarante mètres, héritage d'une intense activité géologique de nombreux millions d'années auparavant. D'où la construction d'un viaduc. Et nous voilà très précisément au sujet du Viaduc du Père Ubu lui-même. Il ne se passa rien de problématique durant sa construction, au contraire. Il fut construit en 1913, peu après la décision politique, et le constructeur utilisa même une technique révolutionnaire à l'époque, à base de béton armé : le procédé Hennebique.
Tout semblait aller pour le mieux en cette année 1913... Jusqu'à ce terrible jour de Juin 1914 où Princip tua l'Archiduc François-Ferdinand et plongea l'Europe entière dans la guerre...
Tu vois de quelle guerre je veux parler ?
Oui tonton. C'est facile c'est la première guerre mondiale, même que ça s'est passé à Saragevo !
Cela se dit Sarajevo, mon petit. Le "j" ne se prononce pas comme en français. Mais effectivement, cet attentat à Sarajevo plongea d'abord l'Europe puis le monde entier dans un chaos monumental. On prétendit en 1918 que cette guerre devait être "la der des der". Des atrocités furent commises aussi bien sur les civils que sur les soldats, et les quatre années de guerre qui se déroulèrent marquèrent la population à jamais... Mais revenons à nos viaducs.
Au déclenchement de la guerre, l'installation des voies ferrées n'était pas encore terminée, et le viaduc n'avait toujours vu aucun ouvrier depuis la fin de sa construction. Malheureusement, il n'allait jamais y avoir de voie ferrée sur ce viaduc, car pour cause de mobilisation générale, non seulement la plupart des ouvriers dédiés à la construction de la voie furent réquisitionnés et enrôlés dans l'armée, mais en plus les matériaux de construction qui devaient servir aux tramways et aux voies furent purement et simplement reconvertis dans la fabrication de matériel militaire. Le fer, le bois, et tout ce qui pouvait servir fut repris par l'armée française pour les besoins de l'effort de guerre.
C'est ainsi que le Viaduc du Père Ubu devint ce qu'il est : un gigantesque édifice ne servant à rien, et ne débouchant sur rien. C'est aussi ce qui lui valut son nom : une existence ubuesque.
Mais tonton c'est quoi ubuesque ? Et le papa Ubu c'est qui ?
Le Père Ubu est un personnage fictif d'Alfred Jarry, un auteur de la fin du XIXe siècle. Il est une des figures de l'absurde causé par la logique administrative humaine, et de manière plus générale de tout ce qui est absurde jusqu'à presque posséder un côté poétique.
"Ubuesque", c'est l'adjectif issu du nom du "Père Ubu". Ainsi, ce viaduc est ubuesque. D'où son nom de Viaduc du Père Ubu... Tiens, justement... Voilà ton viaduc, mon petit.
Ouaaaaaaaah ! Il est haaaut !
Oui, il fait 45 mètres de haut, soit environ 3 mètres de moins seulement que le Pont du Gard, tu imagines ?... Mais il est beaucoup plus récent et en bien moins bon état. Le béton n'était pas aussi solide que celui que nous utilisons à notre époque, et le béton vaudra toujours moins que la pierre...
Et dis tonton... Il y a des fantômes sur ce pont ? Hein ?  Des fantômes terribles ?
Humm, laisse-moi réfléchir.
Oui je crois qu'il existe un fantôme terrible sur ce pont en effet. Un fantôme qui mange les neveux qui posent trop de question. Un fantôme qui a terriblement envie de faire quelques photos. Mais si tu le déranges pendant ses photos, il se pourrait bien qu'il te cuise à la marmite en rentrant !

Pffff, tu fais même pas peur tonton !





[ndTontonGilles : Pour lire l'autre histoire du viaduc du Père Ubu, allez voir chez Le Lutin d'Ecouves.]

5 commentaires:

  1. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Drôle de tram !

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  2. Chouette texte...
    Tonton Poil est très érudit...

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  3. Merci de tes quatre commentaires Solcarlus :)
    Tonton Poil n'est érudit que dans les domaines qu'il connait. Parce qu'en l'occurrence, Tonton Poil a trouvé les informations sur le Viaduc du Père Ubu au pied dudit viaduc. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

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  4. C'est vrai..

    En tout cas Tonton Poil est modeste ! Ça je l'avais déjà remarqué ;-)

    Deux compliments en deux commentaires, Waouh !

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  5. Ouaip, un peu plus et je ne rentrerai plus dans mes chaussures... Tssss, c'est malin !

    Merci pour tes commentaires, encore une fois. :)

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