vendredi 17 avril 2015

Je n'avais rien à dire et il fallait que cela soit dit...

Aemaeth


Tout commence par une histoire, dit-on. En effet, le Verbe était à l'origine de toutes choses. La mythologie judéo-chrétienne et islamique le confirme, mais aussi la mythologie de mon auteur favori, le professeur Tolkien. Le Mot, porteur de sens par excellence, est la pierre fondatrice de toutes les civilisations. Pour créer une civilisation, une ville, un village, il faut le Mot. Le Mot est à la base de notre espèce, car notre espèce est une espèce civile. Le premier humain à avoir apprivoisé le Mot a inventé le concept même d'Humanité.
Depuis, notre espèce a fait un long chemin avec le Mot. Elle l'a grimé de toutes les façons possibles, avec toute l'étendue possible de sonorités qui sied à notre espèce humaine.
Mot écrit de droite à gauche, de gauche à droite, de haut en bas, en colonnes, en lignes, avec des caractères nombreux ou limités, en calligraphies variées, en phrases d'un seul bloc ou Mot à Mot, avec ponctuation ou sans aucune, agrémentée de majuscules et de minuscules ou non. Le Mot prit toutes les formes du monde. Le Mot en vint même à signifier des Nombres, autres entités obscures et puissances secrètes de l'Univers. Le Mot permit ainsi la naissance des mathématiques et de la littérature, de l'Histoire et de l'Art.
Le Mot permit à l'Humanité de transcender sa nature animale.
Les humains les plus variés savent dompter le Verbe et utiliser le Mot.
Ceci est diversement le cas, selon le degré de maîtrise des concepts que les personnes possèdent.
Il existe ainsi une expression du Mot particulièrement raffinée chez les personnes ayant pris le temps de le dompter et ayant eu la chance d'être aidés en la matière par des dompteurs plus expérimentés qu'eux.
Au contraire, les personnes qui n'ont pas eu le temps de le dompter ni la chance d'être accompagnés dans leur domptage ont une expression du Mot qui les laisse particulièrement démunis face au vertige de l'étendue cosmique du Mot.

Il y a, plus que partout ailleurs, une oppression des démunis par la puissance du Mot.
Maîtriser le Mot donne les clés pour dominer le monde.
À l'image du golem dont le mot "Aemaeth" ("vérité") gravé sur le front lui donne vie, l'effacement du Ae premier le faisant mourir ("Maeth" ou "mort" en hébreu), il y a un pouvoir mortel dans le fait de maîtriser le Mot.

Cet humble blog où votre serviteur ici présent s'amuse à jouer avec ses Mots est le front du golem. La  vérité du Mot lui donne corps et vie.
Pourtant, qu'arrive-t-il hors du temps de rédaction d'un nouveau billet ? Un blog comme celui-ci vit-il réellement si personne ne façonne de Mots dessus ? N'est-ce pas le propre d'un blog que de ne vivre que le temps de découverte du nouveau Mot ?

Ces songes autour du pouvoir du Mot me furent inspirés par l'absence d'inspiration que le Mot voulait m'accorder. Ainsi paradoxalement, l'absence de Mot est en soit un Mot. Même la Mort est un Mot, et même le Néant, qui conçoit le rien absolu, est "quelque chose".
Prendre conscience du pouvoir suprême du Mot sur la totalité de ce qui est ou n'est pas, c'est peut-être s'ouvrir à l'inspiration ultime. Celle où l'angoisse de la feuille blanche n'est plus qu'une illusion au service de l'inspiration.

Après tout, combien de bloggeurs bien plus talentueux que moi firent un billet dont le contenu était l'absence d'idée de billet ?

Aussi, posons-nous la question de ce que fut ce billet-ci, à l'heure où vous le lisez. Est-ce un billet comme les autres ?  Est-ce une rêverie philosophique autour du Mot ? Est-ce un constat d'échec ponctuel sur l'absence d'inspiration ? Est-ce une fourberie manipulatrice, tricotant du néant en un formidable pull en laine de Mots entremêlés (vous savez, ces fameux pulls en laine qui grattent tricotés avec amour par votre grand-mère) ?

Après tout, le titre de ce billet est-il honnête ? Ai-je vraiment dit du vide en Mots par envie de ne rien dire en le disant ?
Car si ces questions qui me taraudent depuis deux jours sur les sources de l'inspiration m'ont bel et bien inspiré ce billet un peu particulier, est-ce pour autant une entourloupe ?
N'est-il pas légitime, au moins une fois dans sa vie, de se pencher sur le vertige du Néant et d'y plonger jusqu'à en extraire un noyau dur, un "quelque chose" qui soit fascinant à nos yeux ?

La Mort, mes chers lecteurs... N'est-elle pas ce cœur palpitant du Néant qui nous fascine tant ?
La Mort qui nous emporte tous... N'est-elle pas la barrière ultime qu'il faille franchir au crépuscule de son imagination pour en ressortir transcendé ?


Oui c'est vrai, ceci est un billet fort peu imaginatif, fort peu rêveur et empli de raisonnement plus ou moins fallacieux selon votre point de vue.
Mais je l'affirme : il nous faut tous, nous qui écrivons, accepter un jour d'avouer notre impuissance à rêver, même temporairement.


C'est dit : ceci ne sera pas une rêverie (ou bien ceci n'est-il pas une pipe ?), malgré la grotte qui aurait tant pu m'inspirer. Ceci sera le billet idéal pour annoncer que Tonton Gilles fait une pause momentanée, le temps de voir l'inspiration lui revenir. J'espère arriver aux huit billets dans le mois d'Avril, mais à raison d'un par semaine, cela me laisse sept jours pour rêver à nouveau.
Acceptez mes excuses pour n'avoir pas su vous faire rêver cette fois-ci.
J'espère cependant vous avoir quelque peu fait songer.


Maeth.

2 commentaires:

  1. Comme disait Devos, rien moins rien = moins que rien. Et moins que rien, c'est déjà quelque chose...
    Il faut s'habituer au fait que le vide absolu tout comme l'absence sont des concepts vains puisqu'on peut mettre des mots dessus, les remplissant de sens donc de quelque chose. Et la prise de conscience du manque d'inspiration est déjà une forme d'inspiration... d'où ce billet.

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    1. Exactement. C'est d'ailleurs l'un des rares succès philosophico-pouêt-pouêt des bouddhistes, que d'avoir su exprimer la vanité d'expliquer le concept de vacuité autrement que par l'absence de communication.
      Ce qui est d'autant plus paradoxal, puisque expliquer que seule l'absence de communication est la seule représentation viable de l'absence, c'est remplir cette absence par du contenu creux.
      L'idéal pour vivre aux côtés du Néant qui nous entoure, nous et nos vies, est encore de ne pas lui prêter attention, car s'interroger sur celui-ci nous donne immanquablement le vertige, sans nous aider le moindre du monde à le comprendre.

      Le Néant, le Vide, l'Absence et la Mort sont des concepts étrangers à la vie en ce sens où ce qui vit ne saurait concevoir que la vie et ne sait point concevoir son irrémédiable disparition. L'invention des arrière-mondes a été faite dans le but de domestiquer ces concepts en les niant. Preuve parfaite que nous n'arrivons pas à les comprendre. Accepter notre finitude c'est le combat le plus héroïque que nous ayons à mener ici-bas. Mais même en ayant accepté notre finitude, nous ne sommes pas capables de pleinement saisir le concept de non-existence, et pour cause : c'est un non-concept.

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