jeudi 26 février 2015
Récit d'un adolescent rêveur...
Je n'ai jamais été vraiment doué pour beaucoup de choses.
Arrivé à l'âge de l'adolescence où l'esprit se plaît à rêver son avenir de façon plus sérieuse que jamais auparavant, j'avais eu différents espoirs quant à mon avenir. Devenir journaliste, instituteur, professeur de mathématiques ou de sciences physiques, de biologie aussi. Devenir administrateur réseau d'un parc informatique d'une quelconque entreprise... Ou encore m'investir dans la philosophie des sciences.
Il y a mille et un espoirs à travers lesquels on rêve sa vie. Il n'y a qu'une seule façon de réaliser cette dite vie, et souvent cette façon est prodigieusement inattendue.
Quelques années auparavant, j'étais tombé sérieusement malade, ce genre de maladie qui sapait consciencieusement mes efforts au lycée et qui ne se guérissait pas.
Après quelques quatre années à affronter de concert maladie et études, force m'a été de constater que le monde des études supérieures m'était inaccessible tant que les effets du mal m'empêcheraient de me préoccuper de mon avenir professionnel seul. Je n'eus, au bout de ces quatre années, pas le baccalauréat, sésame qui, dans mes rêves, devait m'ouvrir la voie à un avenir plus riant que ce morbide lycée de province qui avait été socialement un fardeau, et scolairement une purge.
En attendant des jours meilleurs, je me vis contraint à accepter l'aide financière de l’État via les aides de la caisse d'allocations familiales de mon département, versées aux personnes reconnues handicapées.
Puis vint le temps de l'attente... Comme je l'ai déjà raconté dans mon premier billet, j'avais peu avant hérité d'un vieux réflex de mon paternel, mais aucune flamme ne s'était encore allumée dans mon regard pour cet objet qui, il faut le dire, m'impressionnait et m'intimidait tellement.
Tentant quelques essais pour conserver un minimum d'aisance intellectuelle, j'abandonnais systématiquement après de longs acharnements à faire fonctionner scolairement un esprit bien trop occupé par ailleurs par le sujet plus crucial de ma santé personnelle. Beaucoup d'amertume pour un maigre résultat.
Mais comme je le disais, il existe mille et une façons de rêver son avenir, et cet avenir ne se réalise que d'une seule manière. D'une manière souvent imprévisible.
C'est en effet, par un beau jour de mai que ma mère et moi nous mîmes en chasse d'images de la campagne normande, nos reflex au cou et nos besaces à la hanche.
Je ne saurais trop expliquer pourquoi ni comment cela fut possible, mais cette activité me plut. Beaucoup. Plus encore, elle sut détourner de mon esprit préoccupé les questions sur ma santé, devenu depuis un an alors mon handicap.
Je ne savais point trop quoi en faire, mais quelque part, cette détente fulgurante fit germer en moi ma première passion de jeune adulte. Mon meilleur ami s'y étant mis depuis déjà plusieurs années, m'encouragea et me conseilla dans cette quête intellectuelle et spirituelle de la photo rêvée, celle qui ferait le lien entre les rêves de jadis et la réalité actuelle.
Le temps passa, les expériences photographiques s'accumulèrent... Et finalement ce simple hobby d'un jour de mai devint progressivement ma première raison de prendre l'air loin du boudoir qui s'était refermé sur moi.
Pourtant je ne suis pas devenu photographe professionnel ou amateur. Simple amateur de photos, je me mis en tête de créer un modeste blog où écrire et partager des images personnelles.
Et me voilà ici à vous narrer cette genèse de ma mue progressive en adulte, sous l'angle du déclencheur de mon vieil EOS digital.
Pourquoi cette photo précise en illustration d'un tel texte ?, me direz-vous... Eh bien voyez-vous, je n'ai jamais été vraiment doué pour beaucoup de choses. Cette image l'illustre bien. Elle avait un fort potentiel, potentiel partiellement exploité car mal exposée. Cette image est un peu une allégorie de cette mue entre l'adolescence et l'âge adulte. Les rêves du jeune que j'étais ne furent que partiellement exploités, mais à y réfléchir bien, j'ai su accomplir une petite partie de mes rêves d'adolescent, en me cultivant et en nourrissant ma curiosité, ce malgré les handicaps qui m'empêchent de m'accomplir professionnellement...
Cette partie mal exposée de l'image que je me faisais de mon avenir a été finalement compensée par une nouveauté, une beauté que je n'attendais pas : la photo ne sera certes pas tout mon avenir, mais elle m'accompagne désormais sur les chemins sinueux de la vie.
Et c'est très bien ainsi.
dimanche 22 février 2015
Trois minutes avant l'apocalypse...
Les Cieux s'agitent à l'Ouest,
La Forêt frémit à l'Est.
Au Sud, Dieu regarde, anxieux.
Au Nord, Satan observe, envieux.
L'échiquier est en place, les pièces avancent.
Les cavaliers et leurs longues lances,
Les tours et leurs meurtrières,
Les évêques, en prières.
Le Roi et le Prince avancent leurs pions.
Les blancs jouent en premier, puis le Lion
De Dieu répond, la Dame Noire menace.
Tremble le Prince, sous les coups de masse.
Mais à présent l'échiquier se pervertit.
Les anciennes pièces sont parties.
Les cavaliers fuient devant les chenilles,
Les tours flanchent, le tonnerre gronde.
De sa Dame, il ne reste qu'une vile anguille.
En ce jour, seuls les fous abondent...
Le Prince monte son escalier.
Le Roi est à présent menacé.
Car l'horloge avance inexorablement
Car la voilà, l'annonce de la fin du temps !
L'équilibre a finalement été rompu,
Le Roi Noir fut fatalement vaincu,
Sans surprises, par son Fils, être de Lumière
Celui qui le vénérait et l'enviait hier.
Le voilà Roi d'un monde en perdition.
D'où n'émanent que de sombres lamentations.
Voilà ce qui arrive quand par malheur la guerre éclate,
Ne reste que le chaos, alors que résonne l'échec et mat.
mardi 17 février 2015
Tempus edax rerum...
C'est l'histoire d'un pigeon comme il en existe des millions d'autres dans les villes de France. C'est aussi l'histoire d'un petit ilot de touffes d'herbe qui poussait là, dans le coin, porté par les vents sous forme de graines éparses une journée d'été.
C'est l'histoire d'une gargouille, sculptée il y a de cela une éternité par un apprenti tailleur de pierre. C'est aussi l'histoire de l'imaginaire qu'elle représente. Des fantasmes d'une humanité encore dans l'enfance de son histoire, s'imaginant tuer des dragons et des chimères au lieu de se consacrer à ses études.
Cette histoire est celle de tous les mythes et légendes. C'est l'histoire de la forte impression de la nature sur les esprits humains, leur imaginaire et leurs peurs secrètes. Une histoire qui commence un peu comme toutes les histoires commencent : "c'était il y a très longtemps, dans un royaume lointain aujourd'hui disparu...". Une histoire dont la fin est invariablement la même : "...Et il vécut heureux, encore, encore et encore... Jusqu'à la fin de ses jours.".
C'est une histoire comme il semble ne pas y en avoir d'autre, aux multiples rebondissements et aux innombrables chausses-trappes.
Et pourtant c'est une histoire comme il en existe d'innombrables autres, partout sur Terre.
En fait, nous pourrions presque dire que cette histoire se répète de génération en génération, de civilisation en civilisation, ne changeant pour ainsi dire que de parure.
Et la gargouille, le pigeon, les touffes d'herbe dans tout cela ? Eh bien c'est effectivement la même histoire que toutes les autres... À son échelle bien sûr. L'histoire personnelle de ces créatures est la même que ces histoires fantastiques dont se repaissent les enfants le soir au coin du feu. Toutes proportions gardées, nous pourrions même prétendre que notre histoire propre et celle de la touffe d'herbe et du pigeon ne changent que dans les détails apparents.
Quelle est cette histoire, enfin, me direz-vous ? Ne voyez-vous toujours pas ?
Cette histoire est celle qui présida à notre naissance, à notre apparition, à celle de notre Univers. C'est cette même histoire que les contes et légendes utilisent, ou que les livres d'Histoire nous enseignent, c'est également cette histoire que nous côtoyons quand nous passons à côté d'un chien, d'un chat, d'une corneille ou d'une fourmilière...
Cette histoire qui se décline à l'envi et qui jamais ne change de finalité, cette histoire qui nous emporte tous dans son cours, cette histoire qui s'impose à tous...
Cette histoire n'est rien d'autre qu'une histoire de temps...
jeudi 12 février 2015
La lamentation de Saint Jean...
Ô notre Seigneur Jésus Christ, préservez-nous de la folie de nos fidèles. Le Démon a appelé de ses vœux les massacres sous mes yeux. La paix de Saint Germain était donc une paix démoniaque, couvant la Discorde. Le mariage du bon Roi Henri n'a point su apaiser les déchirement funestes à l’œuvre, aggravés depuis la tentative d'assassinat de l'Amiral... Ô Seigneur Dieu, comment avons-nous pu échouer ?
Depuis que les massacres ont commencé, le sang coule sur les pavés de cette forteresse protestante. Même l'hérésie envers la mère de Rome n'aurait su justifier tel carnage. Tu ne tueras point, et en ce jour funeste, les âmes des protestants et de nos fidèles égarés croupissent en Enfer.
Ô Sainte Marie, mère de Dieu, ne pouvez-vous vous adresser à ces frères devenus ennemis ? A ces parents et enfants, à ces voisins devenus adversaires dans le sang et l'horreur ?
Moi, Saint Jean, ne puis supporter telle vision insoutenable... Mes effigies contemplent dans toute la Normandie la triste splendeur de la Mère de Dieu, affligée dans sa chair et dans son âme par cette sinistre boucherie en contrebas.
Dieu, notre Père qui êtes aux cieux, je vous en supplie, intervenez, avant qu'à l'aube de la Saint Bruno, ne subsistent plus que des âmes damnées sur cette belle terre de France.
Déjà, de Rouen à Orange, les tueries ont sacrifié de nombreux potentiels saints. Par quelle folie meurtrière faut-il que la cité des Ducs lacère les corps et les esprits de son bon peuple ?
À présent le regard de notre Seigneur se tourne ailleurs, vers la Médicis que nombre de bienheureux ici-haut soupçonnent d'avoir orchestré ce monstrueux gâchis.
D'autres se portent vers le Roi d'Espagne et la famille des Guise ou vers le Duc d'Anjou...
Les cieux se révulsent devant l'horreur des carnages, et tandis qu'aux palais paradisiaques montent les lamentations des Saints, leurs représentations sur Terre se tournent, dos à l'horreur et pleurent.
Seigneur Dieu, sauvez-nous de la Saint Barthélemy...
Depuis que les massacres ont commencé, le sang coule sur les pavés de cette forteresse protestante. Même l'hérésie envers la mère de Rome n'aurait su justifier tel carnage. Tu ne tueras point, et en ce jour funeste, les âmes des protestants et de nos fidèles égarés croupissent en Enfer.
Ô Sainte Marie, mère de Dieu, ne pouvez-vous vous adresser à ces frères devenus ennemis ? A ces parents et enfants, à ces voisins devenus adversaires dans le sang et l'horreur ?
Moi, Saint Jean, ne puis supporter telle vision insoutenable... Mes effigies contemplent dans toute la Normandie la triste splendeur de la Mère de Dieu, affligée dans sa chair et dans son âme par cette sinistre boucherie en contrebas.
Dieu, notre Père qui êtes aux cieux, je vous en supplie, intervenez, avant qu'à l'aube de la Saint Bruno, ne subsistent plus que des âmes damnées sur cette belle terre de France.
Déjà, de Rouen à Orange, les tueries ont sacrifié de nombreux potentiels saints. Par quelle folie meurtrière faut-il que la cité des Ducs lacère les corps et les esprits de son bon peuple ?
À présent le regard de notre Seigneur se tourne ailleurs, vers la Médicis que nombre de bienheureux ici-haut soupçonnent d'avoir orchestré ce monstrueux gâchis.
D'autres se portent vers le Roi d'Espagne et la famille des Guise ou vers le Duc d'Anjou...
Les cieux se révulsent devant l'horreur des carnages, et tandis qu'aux palais paradisiaques montent les lamentations des Saints, leurs représentations sur Terre se tournent, dos à l'horreur et pleurent.
Seigneur Dieu, sauvez-nous de la Saint Barthélemy...
lundi 9 février 2015
C'est un lupus !
La nuit s'étendait, opaque, tout autour de lui. La plaine bruissait doucement sous les assauts de la brise nocturne. La fraîcheur qu'elle apportait lui ébouriffait les cheveux et le faisait frissonner. Pas très loin, derrière une butte, se cachait, il le savait, un cadavre fraîchement abattu. Il sentait l'odeur de la mort jusqu'ici. Il entendait également les corneilles se disputer la carcasse avec les renards. L'odeur du sang lui donnait à nouveau faim. Son ventre gargouilla. Il sut qu'à moins de chasser cette nuit, c'était la mort assurée pour lui, et une nouvelle bombance pour les corneilles...
Gilles se glissa alors silencieusement dehors, une lance rudimentaire à la main.
Le nez en l'air, il jeta un oeil au ciel. Dégagé avec quelques nuages, le temps idéal pour la chasse. Clair sans être éblouissant.
Gilles s'avança prudemment hors de sa grotte, à distance de son feu de camp.
Il se glissa à pas de loups sur une butte, près d'une vieille souche usée et commença à tailler un bout de bois.
La Lune profita de cet instant d'inattention pour sortir des nuages. Sa puissante clarté éblouit Gilles.
Soudain, il eut à nouveau faim de sang, faim de chair fraîche. Sa pilosité augmenta à grande vitesse tandis que son dos se courbait, que des griffes lui poussaient et qu'une dentition de carnivore remplaçait celle, si humaine, de notre pauvre damné.
Alors, sous les feux lunaires, le loup-garou poussa un long hurlement à faire se glacer les sangs de tous les animaux alentour, entendu jusqu'à plus d'une dizaine de kilomètres, pétrifiant quelques bourgeois dans leurs lits.
L'heure de la chasse était arrivée.
Gilles se glissa alors silencieusement dehors, une lance rudimentaire à la main.
Le nez en l'air, il jeta un oeil au ciel. Dégagé avec quelques nuages, le temps idéal pour la chasse. Clair sans être éblouissant.
Gilles s'avança prudemment hors de sa grotte, à distance de son feu de camp.
Il se glissa à pas de loups sur une butte, près d'une vieille souche usée et commença à tailler un bout de bois.
La Lune profita de cet instant d'inattention pour sortir des nuages. Sa puissante clarté éblouit Gilles.
Soudain, il eut à nouveau faim de sang, faim de chair fraîche. Sa pilosité augmenta à grande vitesse tandis que son dos se courbait, que des griffes lui poussaient et qu'une dentition de carnivore remplaçait celle, si humaine, de notre pauvre damné.
Alors, sous les feux lunaires, le loup-garou poussa un long hurlement à faire se glacer les sangs de tous les animaux alentour, entendu jusqu'à plus d'une dizaine de kilomètres, pétrifiant quelques bourgeois dans leurs lits.
L'heure de la chasse était arrivée.
samedi 7 février 2015
L'éloge funèbre du sorbier...
Ô beau sorbier, je t'ai vu scintiller
Un beau jour d'été, un bel ocre étincelait.
Ô beau sorbier, je t'ai vu briller
Un soir hiémal, de belles perles minérales.
Ô beau sorbier, je t'ai vu dénudé
Une nuit d'automne, privé de ta couronne.
Ô beau sorbier, je t'ai vu revigoré
À l'aube du printemps, chargé de tes descendants.
Ô beau sorbier, je t'ai longuement parlé
Alors que tu vieillissais et te desséchais.
Quantité de sève était passée dans tes feuilles,
Tu avais porté tes enfants et nombre deuils.
Ô beau sorbier, tu les as souvent protégés,
Tes fils chargés d'un bel avenir forestier
Comme ces esprits venus sous ta ramure
Contempler en automne tes belles dorures.
Ô beau sorbier, il est l'heure d'y aller...
Ton temps s'est écoulé, tu n'as plus de vitalité.
Je serai à tes côtés jusqu'à la toute fin
Je t'honorerai ce soir, cette nuit et demain.
Ô beau sorbier, après toi je continuerai
À veiller sur tes descendants, tous tes enfants.
Je t'en fais le serment, je le dis solenellement
Devant les Valar et devant Eru Ilùvatar.
Ou que ma sève se dessèche, que mes yeux soient aveuglés,
Car c'est là le tribut du sapin, gardien des forêts.
mercredi 4 février 2015
Au cœur de l'Hiver...
Le cœur de l'Hiver battait sa lente chamade de mort et de gel. Déjà les nuances de couleur s'effaçaient au profit d'un gris brutal. Plus aucun oiseau ne chantait. Un silence opaque s'était installé sur les environs.
Sam s'arrêta un instant. Cette quiétude totale, ce silence, étaient autant de précieux secrets que la forêt pouvait révéler à ceux qui la connaissaient. Petit à petit les sens de Sam s'aiguisèrent. Il entendit au loin le craquement d'une brindille. Puis deux. Puis quatre. Puis vingt. Puis vinrent les croassements des corbeaux. Pas un ou deux. Une myriade. Les cherchant du regard, Sam tourna sur lui-même, inquiet..
Puis il les vit. Les corbeaux, perchés sur les branches d'un sapin, commençaient à se regrouper, produisant un vacarme sinistre.
Soudain, ce qu'il redoutait par-dessus tout advint. Le vent du Nord se leva. Non pas une simple bourrasque. Un vent aigre, froid, dur, strident, mortel.
Sam le sut alors. Les autres seraient bientôt là.
Commençant à courir sans aucune idée de la direction à prendre, il s'enfonça désespérément dans les entrailles de glace de cette noire forêt.
Déjà il les entendait, sans comprendre leurs funestes paroles. Parti chasser du daim, il était devenu gibier. Cette maudite forêt ne lui permettait pas de se repérer. Il eut plusieurs fois l'impression d'être retourné sur ses pas.
Pourtant, inlassablement, il avançait.
Épuisé, éreinté, Sam trébucha sur de sournoises racines et tomba tête la première dans la neige fraîche.
Les corbeaux croassaient à présent sur l'arbre au-dessus de lui.
Il le savait, c'était la fin du voyage. Les autres l'avaient rattrapé. Il contemplait le bleu givré de leurs yeux autour de lui. De toutes ses forces, Sam pria ses vieux dieux de lui venir en aide. Ne répondit que le souffle de la mort froide, l'enserrant dans ses bras, congelant sa chair et son air.
Ses muscles, sa peau, sa graisse, noircis par la brûlure du givre s'amenuisèrent. Sa conscience s'éteignit définitivement. Et tandis que ses paupières s'ouvraient sur des yeux d'un bleu glacé, la bête en Sam s'éveilla, reconnaissant ses pairs autour d'elle.
Un nouveau marcheur blanc était né.
Sam s'arrêta un instant. Cette quiétude totale, ce silence, étaient autant de précieux secrets que la forêt pouvait révéler à ceux qui la connaissaient. Petit à petit les sens de Sam s'aiguisèrent. Il entendit au loin le craquement d'une brindille. Puis deux. Puis quatre. Puis vingt. Puis vinrent les croassements des corbeaux. Pas un ou deux. Une myriade. Les cherchant du regard, Sam tourna sur lui-même, inquiet..
Puis il les vit. Les corbeaux, perchés sur les branches d'un sapin, commençaient à se regrouper, produisant un vacarme sinistre.
Soudain, ce qu'il redoutait par-dessus tout advint. Le vent du Nord se leva. Non pas une simple bourrasque. Un vent aigre, froid, dur, strident, mortel.
Sam le sut alors. Les autres seraient bientôt là.
Commençant à courir sans aucune idée de la direction à prendre, il s'enfonça désespérément dans les entrailles de glace de cette noire forêt.
Déjà il les entendait, sans comprendre leurs funestes paroles. Parti chasser du daim, il était devenu gibier. Cette maudite forêt ne lui permettait pas de se repérer. Il eut plusieurs fois l'impression d'être retourné sur ses pas.
Pourtant, inlassablement, il avançait.
Épuisé, éreinté, Sam trébucha sur de sournoises racines et tomba tête la première dans la neige fraîche.
Les corbeaux croassaient à présent sur l'arbre au-dessus de lui.
Il le savait, c'était la fin du voyage. Les autres l'avaient rattrapé. Il contemplait le bleu givré de leurs yeux autour de lui. De toutes ses forces, Sam pria ses vieux dieux de lui venir en aide. Ne répondit que le souffle de la mort froide, l'enserrant dans ses bras, congelant sa chair et son air.
Ses muscles, sa peau, sa graisse, noircis par la brûlure du givre s'amenuisèrent. Sa conscience s'éteignit définitivement. Et tandis que ses paupières s'ouvraient sur des yeux d'un bleu glacé, la bête en Sam s'éveilla, reconnaissant ses pairs autour d'elle.
Un nouveau marcheur blanc était né.
lundi 2 février 2015
Les damnés de la pierre...
Projetant leur ombre sur les passants, les damnés de pierre hurlent.
Ils hurlent leur rage, ils hurlent leur suffocation, ils hurlent leur enfermement.
Pourquoi ne les entendons-nous point ? Ne sommes-nous donc pas sensible à leur maléfique beauté ?
Avons-nous oublié leur langage d'eau et de gargouillis ? Avons-nous cessé de leur prêter attention ?
Pourtant les damnés de pierre hurlent, suffoquent, emprisonnés. Aucun son ne nous en parvient. Pourquoi donc ? Est-ce parce qu'ils font partie du décor ? Est-ce parce que, telles de grotesques décorations, leur regard nous gêne ?
Ils sont prisonnier dehors. Prisonniers de leur enfermement à l'air libre. Prisonniers et incapables de se réchauffer lorsque l'Hiver vient.
Leurs ailes ne leur servent plus à voler. Leurs serres, à capturer leurs proies. Leurs écailles, à se protéger. Leurs sabots, à cavaler.
Ces démons d'un autre âge suffoquent, hurlent, prisonniers de leur tour de pierre, cloîtrés dans ce lieu saint qu'ils haïssent plus que tout.
Jadis tourmenteurs inlassables d'une humanité en culottes courtes, les voilà à présent réduits à l'état de décorations pour touristes. Eux qui représentaient le vice, la perversité, la tentation, la gloutonnerie, le blasphème, la tourmente des âmes... Voilà qu'ils ne sont plus guère que gibiers pour photographes amateurs. De simples pions sur un échiquier décoratif.
Plus insupportables à leur âme encore sont les innombrables larmes de ce dieu miséricordieux envers l'Humanité. Plus insupportable est leur impact saint contre leur corps de pierre mate, qui chaque jour effrite un peu plus leur lien avec ce simulacre de vie, cette punition millénaire qu'est leur condition.
Le merveilleux n'est plus. Le terrible se meurt avec eux. À présent est l'âge de Raison, l'âge où les démons, diablesses et satyres ne sont plus que contes et légendes pour jeunes enfants. Leur essence, encore prisonnière du roc, hurle son envie de tourmenter à nouveau cette Humanité qui jadis les a chassés de sa mémoire. Les créatures démoniaques ont besoin qu'on croie en eux pour vivre. Si peu, si peu croient encore en leur réalité. Ce fil ténu qui les raccroche à la vie, ce fil qui se corrode au contact de cette eau bénite venue du Roi des cieux, ce fil qui un jour sera sectionné net par la Reine mortelle... Ce fil est si fragile.
Le jour viendra où démons et satyres, dragons et chimères, tomberont en poussière. Le jour viendra où l'Humanité, débarrassée des spectres de pierre de ses démons, se retournera et, contemplant le chemin accompli, pleurera son enfance et rira, toute à sa joie d'être maîtresse de sa destinée.
Mais qui pourrait pleurer les sires et dames de pierre ?
Qui, dans un monde dominé par la raison, s'intéressera encore au terrible et au merveilleux ?
Oui. Qui ? Qui, sinon l'évêque ? le coureur ? Le fou ?
Ils hurlent leur rage, ils hurlent leur suffocation, ils hurlent leur enfermement.
Pourquoi ne les entendons-nous point ? Ne sommes-nous donc pas sensible à leur maléfique beauté ?
Avons-nous oublié leur langage d'eau et de gargouillis ? Avons-nous cessé de leur prêter attention ?
Pourtant les damnés de pierre hurlent, suffoquent, emprisonnés. Aucun son ne nous en parvient. Pourquoi donc ? Est-ce parce qu'ils font partie du décor ? Est-ce parce que, telles de grotesques décorations, leur regard nous gêne ?
Ils sont prisonnier dehors. Prisonniers de leur enfermement à l'air libre. Prisonniers et incapables de se réchauffer lorsque l'Hiver vient.
Leurs ailes ne leur servent plus à voler. Leurs serres, à capturer leurs proies. Leurs écailles, à se protéger. Leurs sabots, à cavaler.
Ces démons d'un autre âge suffoquent, hurlent, prisonniers de leur tour de pierre, cloîtrés dans ce lieu saint qu'ils haïssent plus que tout.
Jadis tourmenteurs inlassables d'une humanité en culottes courtes, les voilà à présent réduits à l'état de décorations pour touristes. Eux qui représentaient le vice, la perversité, la tentation, la gloutonnerie, le blasphème, la tourmente des âmes... Voilà qu'ils ne sont plus guère que gibiers pour photographes amateurs. De simples pions sur un échiquier décoratif.
Plus insupportables à leur âme encore sont les innombrables larmes de ce dieu miséricordieux envers l'Humanité. Plus insupportable est leur impact saint contre leur corps de pierre mate, qui chaque jour effrite un peu plus leur lien avec ce simulacre de vie, cette punition millénaire qu'est leur condition.
Le merveilleux n'est plus. Le terrible se meurt avec eux. À présent est l'âge de Raison, l'âge où les démons, diablesses et satyres ne sont plus que contes et légendes pour jeunes enfants. Leur essence, encore prisonnière du roc, hurle son envie de tourmenter à nouveau cette Humanité qui jadis les a chassés de sa mémoire. Les créatures démoniaques ont besoin qu'on croie en eux pour vivre. Si peu, si peu croient encore en leur réalité. Ce fil ténu qui les raccroche à la vie, ce fil qui se corrode au contact de cette eau bénite venue du Roi des cieux, ce fil qui un jour sera sectionné net par la Reine mortelle... Ce fil est si fragile.
Le jour viendra où démons et satyres, dragons et chimères, tomberont en poussière. Le jour viendra où l'Humanité, débarrassée des spectres de pierre de ses démons, se retournera et, contemplant le chemin accompli, pleurera son enfance et rira, toute à sa joie d'être maîtresse de sa destinée.
Mais qui pourrait pleurer les sires et dames de pierre ?
Qui, dans un monde dominé par la raison, s'intéressera encore au terrible et au merveilleux ?
Oui. Qui ? Qui, sinon l'évêque ? le coureur ? Le fou ?
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