France Inter, il est 9 heures, tout de suite le journal présenté par Hélène Fily ! À ces mots, Gilles haussa le niveau sonore de sa petite radio portable et alla se chauffer un café. Les informations radio, c'était sacré ! Il avait toujours pour habitude d'écouter France Inter le matin, même au bout de quarante ans. France Inter l'accompagnait aussi lors du repas du midi les mardi et jeudi, quand il pouvait se permettre de rentrer de son travail de postier à temps. Gilles adorait son métier de postier. Juché sur son vélo jaune à sacoches, il arpentait les rues de sa ville natale dans tous les sens avec une ardeur qui surprenait plus d'un à voir ce presque sexagénaire pédaler et distribuer le courrier dans le quartier de sa tournée.
Il regrettait cependant le temps béni des années 70 où parfois il avait le temps de s'arrêter prendre un café chez Michèle, la grand-mère isolée de la rue Cazault. Mais la privatisation était passée par là et depuis, les tournées étaient chronométrées avec une précision inhumaine. Gilles aimait toujours son métier, mais ses collègues et lui pestaient dorénavant plus qu'il y a vingt ans contre leurs conditions de travail. Ils n'osaient guère hausser le ton trop fort car, après tout, ils avaient tous un métier, un métier qui les mettait au contact des gens, et qui bénéficiait encore d'une bonne cote de sympathie auprès du public. La vente des calendriers en fin d'année le remplissait de joie, car il avait enfin le temps de s'arrêter chez les gens du quartier, et l'accueil était généralement agréable.
Toutefois les discussions politiques n'étaient pas son fort, et même lui voyait bien que l'opinion autour de lui se durcissait. Lui qui avait connu l'époque où l'on parlait de "gardiens de la paix" avait constaté que depuis une dizaine d'années, il s'agissait de "forces de l'ordre", particulièrement à la télévision, laquelle avait fini par contaminer le langage populaire.
Mais tout allait encore bien pour Gilles et les gens de son quartier. Le chômage menaçait à peu près tout le monde à présent, mais ce dernier était invirable, trop proche de la retraite pour valoir le coup d'être mis à la porte.
Tout en songeant à l'avenir de son métier, Gilles s'habilla et sortit acheter le journal. Son rituel des mercredi, jour de congé pour lui depuis deux ans. Il aimait bien lire le journal, on y riait de la sottise humaine, parfois. Et on s'informait. Beaucoup. Culture, Justice, politique, dessins satiriques... Gilles aimait beaucoup ces derniers. Le dessin de journal l'avait toujours amusé. Parfois il s'essayait en cachette à l'exercice dans son bureau. Il n'était pas très doué, il l'avouait.
Tout en baguenaudant, Gilles n'aperçut pas les visages plus fermés qu'à l'ordinaire, n'entendit pas les messes-basses dans le dépôt de journal du coin. Il aperçut juste qu'à peine à midi, les exemplaires de son journal favori étaient absents. Une simple affichette au crayon gras indiquait "Rupture de stock".
Pestant et maugréant, Gilles repartit, bougon, vers son appartement.
En rentrant, il entendit sa radio, toujours allumée depuis son lever, et l'angoisse palpable dans la voix de Claire Servajean le fit tiquer. Il écouta, enfin attentif. Et ce qu'il entendit lui noua l'estomac.
Se précipitant sur son ordinateur, il se connecta sur internet et, médusé, il lut la page de garde de ce qui, en son cœur était SON journal, celui qu'il lisait depuis tant de temps et qu'il distribuait tant à ses concitoyens.
Sur la page d'accueil, rien n'apparaissait à part une seule phrase...
C'est sobre et émouvant. Je n'aurais pas pu faire mieux. Merci d'exprimer ici ce que beaucoup ressentent.
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