Au plus profond de la forêt d'Écouves, la neige recouvrait tout. Arbres, herbes, feuilles mortes, branches, chemins et buissons...
Arpentant les étendues blanches de cette futaie frigorifiée, nous avancions difficilement, prudemment, à l'affût d'un signe de vie.
Personne.
Juste le silence et le bruit de nos pas dans la poudreuse.
Devant moi, mon guide s'arrêta un instant.
Ah, voilà le chemin que je cherchais. Suis-moi, je vais t'y mener !
Nous avançâmes un peu plus dans ce monde en noir et blanc redoutant de glisser à chaque descente, craignant les branches et cailloux dissimulés à quelques centimètres sous la surface immaculée.
Le chemin devenait plus net au fur et à mesure de notre avancée.
Bientôt, mon guide s'arrêta, me fit signe d'approcher et me murmura à l'oreille alors que je m'accroupissais à sa hauteur : Passe devant. Marche lentement, dès que tu le verras, fixe-le et ne cille pas. Si quelque chose tombe près de toi, fuis... Il est dangereux.
Je pris lentement le chemin de lutin qui se dessinait devant moi, un pas après l'autre, un pas devant l'autre.
Le sylvestre d'Écouves m'observa un long moment, puis, quand je disparus de son champ de vision, un craquement sec m'indiqua qu'il venait de se volatiliser, à travers l'espace et le temps.
Quelques pas de plus et je le vis apparaître. Un ours brun, grand comme deux humains, en pleine sieste, me regardait du coin de l’œil, grognant un peu.
Vissant mon regard dans le sien, je ralentis encore un peu l'allure.
Après cinq longues et angoissantes minutes, j'arrivai près de lui. Approchant ma main de son front, je m'apprêtais à entrer en contact télépathique avec lui mais un grondement me figea dans mon élan. Il se dressa soudain de toute sa stature, me plongeant dans son ombre gigantesque, approcha sa patte géante de ma tête, et, lentement, initia lui-même la conversation mentale.
Il m'est difficile de vous décrire un tel entretien, d'esprit à esprit. Sans une harmonie mentale suffisante, cela est tout bonnement impossible : même entre les deux meilleurs amis du monde, elle ne ressemble guère qu'à une suite de flashes et de sons totalement incohérents...
La "conversation" terminée, l'ours se rassit quelques instants puis, pesamment, se blottit sous un arbre. Je n'avais plus rien à faire ici.
Suivant mes propres traces et celles de mon ami sylvestre, je prenais le chemin du retour quand une voix venue d'au-dessus m'interpella.
-Alors ? Que t'a-t-il dit ? J'ignorais que ton don allait jusqu'à communiquer avec les ours d'Artémis, mais... Bon, je te l'avoue, j'avais à moitié espéré te voir recevoir une branche sur le crâne... Cela m'aurait distrait, pour une fois. On manque d'occasions de rire en cette saison...
-Mon cher ami lutin, j'apprécie mieux ton sens de l'humour quand je te vois en face de moi... Et pour ta gouverne, ce que cet ours et moi nous sommes dit ne regarde que nous. Disons simplement que j'avais besoin d'entrer en contact avec Artémis pour des raisons personnelles.
-Tout de même, d'habitude les être sensitifs n'approchent pas les messagers des dieux et déesses. Tu te prends pour qui, mon cher Gilles ? Tu crois qu'Artémis va t'écouter ou te conseiller ? Elle est réputée n'écouter que ceux qui ont reçu sa bénédiction. Tu te prends pour un de ses fidèles ? Pourquoi pas pour un ours, tant que tu y es...
-Occupe-toi de tes pièges à trolls, petit Écouvien. Artémis m'a répondu. La façon dont j'y suis parvenu ne te regarde guère...
Un craquement encore plus sonore retentit au milieu des bois. Visiblement mon ami le lutin venait de s'éclipser bien loin de moi...
Quelques dizaines de mètres plus loin, une complainte d'ours solitaire se fit entendre dans toute la forêt. Je me retournai en direction du bruit, et, alors que je m'apprêtais à disparaître dans un grand craquement, je me murmurai à moi-même...
Prends bien soin de notre forêt... Mon frère.
Ça fait longtemps que je sais que tu as des ancêtres béornides.
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