samedi 4 juillet 2015

Le testament d'une gargouille...

Combien de temps suis-je resté ici sur cette arête infâme de ce lieu béni par ce tyran imaginaire ?
Ne croyez pas un instant que je suis une gargouille comme les autres, issue d'un ancien artisanat de la roche, telle l'expiation des démons qui hantaient ces malheureux soumis à leur dictateur surnaturel.
Non, en ce qui me concerne, j'étais bien plus que cela. L'esprit toujours rebelle et indomptable d'ici-bas coulait en mes veines dès ma naissance. J'étais de ces esprits naturels qui passaient pour démoniaques auprès de ces chimpanzés à peine surdoués. En fait j'étais l'esprit protecteur des... Mais je suppose qu'il vaut mieux que je reprenne depuis le début ?

Au commencement des temps, avant que votre monde ne naisse, le Néant était et contenait une foultitude d'esprits en tous genres, et j'étais parmi eux. Oui, je suis plus vieux que votre monde.
Nous chantâmes votre monde et nos mélodies râpeuses, harmonieuses, dures, tendres, complexes, brutales, déliées, compactées, froides, chaleureuses, donnèrent non seulement corps mais aussi âme à cette formidable polyphonie. Le monde qui est naquit ainsi de la poésie et des cantiques.
Une majorité de ces esprits décida de contempler le monde d'en-haut, considérant qu'une œuvre d'art ne se dénature pas mais se laisse admirer de loin. Nous autres, les plus téméraires et les plus passionnés, décidâmes de nous incarner et de ne faire qu'un avec notre création. Nous croyions en nous et en notre capacité à sublimer le sublime, à vallonner les plaines et à rendre plus vivants encore ces lieux.
De nombreux esprits s'incarnèrent dans des formes éthérées, mais plus encore investirent un corps fait de la matière de nos cantiques quantiques, croissant et multipliant par leur descendance jusqu'à y perdre leur essence métaphysique et se dissoudre dans les racines du monde.
Je fis partie des quelques-uns qui préférèrent la joie de la spiritualité éternelle, ne s'incarnant qu'à l'occasion pour défendre notre création.
Bien vite les descendants de nos frères commencèrent à réclamer ce lieu comme leur dû.
Bien vite ils dénaturèrent notre magnifique peinture cosmique.
Tous les esprits protecteurs tombèrent les uns à la suite des autres dans cet affrontement millénaire.
Mais le sort qui fut réservé aux derniers des Mohicans fut bien plus terrible que la dissipation dans la terre, l'air et l'eau.
Après mille ans de combats, les vivants cessèrent de croire en nous. Et nous-mêmes, las que nous étions de protéger en vain un joyau miné par les coups de pioche, avions déjà cessé de croire en nous-même.
Nous étions devenus faibles. De simples esprits frappeurs. Aisément piégés dans la roche, le bois, le fer, nous fûmes mis à contribution dans l'achèvement de leur foi nihiliste : l'érection de monuments à la gloire d'une fable mit un terme final à notre confiance en nous. Leur art simiesque devint notre dernière demeure. Nous mourons à petit feu depuis ce jour.

Et me voilà. Prisonnier de la pierre. Bâillonné pour m'être rebellé une dernière fois. Ne pouvant pas même gargouiller... Voilà ce que vous fîtes des esprits fondateurs de votre monde, par orgueil et vanité.



Pourtant, en moi se meurt un peu plus votre avenir...
... À moins que vous ne cessiez d'avoir peur de nous. De vous. De tout.
Vous êtes seuls maîtres à bord à présent.

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