Alençon, le 25 Octobre 2015
(Non, je ne publie pas le jour même.)
Dans un (pas tellement) ancien billet, j'aimais évoquer le caractère unique de la ville d'Alençon, entre eau et verdure.
Je n'aime pas revenir sur mes billets. Ni pour remanier mes textes ni pour changer la moindre image.
C'est pourquoi je vous invite à relire exceptionnellement le billet "De vert et d'eau" après avoir contemplé tout votre saoul cette photo ci-dessus.
Mais j'ai aussi un petit addendum à ajouter ici, une peur à partager :
Ce que j'ai écrit sur cette ville, je le réécrirais sans hésiter, même les quelques griefs que je porte à son égard. Car bien qu'aimant profondément Alençon, je n'oublie pas combien elle a pu être délaissée au profit de quelques égos carriéristes... Ou simplement délaissée comme on délaisse un vieux jouet qui n'apporte finalement plus satisfaction avant d'être enfoui dans le carton de l'indifférence, si je puis oser une métaphore digne d'un poète du déménagement.
Je me suis toujours beaucoup plu à Alençon. J'y réside depuis aussi loin que mes souvenirs portent - et ils portent très loin.
Mais au fil des années, j'ai vu tous mes amis, tous mes cousins, toutes mes cousines.... des familles entières même, quitter Alençon.
Parce que cette ville ne propose pas (ou si peu) d'avenir pour ceux qu'on appelle "jeunes".
Pourtant, à relire ce billet dont je vous parle plus haut, la situation paraît tellement plus idyllique. En tout cas presque souhaitable.
Car c'est un fait, j'aime Alençon. Du fond du cœur.
Et c'est parce que j'aime cette petite ville, à taille humaine, que je suis inquiet pour son avenir. Que je crains chaque jour davantage pour son avenir.
Si Alençon peut encore être un endroit où il fait bon vivre, il faudrait cependant ne pas trop rêvasser. Moi qui rêve chaque jour que Dieu et Diable font, comprenez que cela me coûte d'avancer ceci.
Alençon a perdu ses jeunes. Elle a perdu un semblant d'attrait pour ces derniers. Ils ne veulent presque jamais faire leur vie ici.
Qu'arrivera-t-il quand les autres auront passé de vie à trépas ? Que restera-t-il ?
mercredi 28 octobre 2015
samedi 24 octobre 2015
Un petit Sijo, filant comme les étoiles de la nuit, libéré du ballet cosmique...
Je te rêve pâle et blanche, spectre des nuits. Où te trouves-tu ?
Au milieu d'étoiles dansantes, en de très grandes constellations.
Elle est là, derrière l'horizon. Au loin, elle dort, dans son lit.
달
mardi 20 octobre 2015
Niké...
Tonton ! Tu m'as jamais dit c'était quoi cette statue en haut du rond-point, là !
Ah, tu veux parler du monument aux morts ? C'est un ensemble de monuments aux morts des deux guerres mondiales. Cette statue en haut est en fait, pour faire simple, la poignée du glaive géant que tu vois planté dans le sol, au milieu du rond-point.
Difficile de l'identifier précisément; il existe finalement peu de sources sur sa signification. Tout au plus sait-on qu'il s'agit d'une allégorie de la France unie en une seule Nation défendant la Patrie.
Mais elle ressemble aussi à Niké, la déesse grecque de la Victoire : ailée, avec un bouclier. Néanmoins je n'arrive toujours pas à identifier clairement ce que tient ce personnage dans la main droite. De face, on dirait une sorte de kriss, un couteau cérémoniel, et ça, ce n'est pas cohérent. Niké est généralement représentée tenant une couronne de lauriers.
Mais bref, il s'agit peut-être simplement d'une sorte d'allégorie du peuple français après tout, et pas forcément une grande référence culturelle antique...
Attends, tonton, je comprends rien ! Niké c'est quoi comme déesse ? Et puis c'est pas un ange, la dame en haut du pilier ?
Niké, tu devrais savoir ce que c'est, mon petit garnement. Je croyais que tu regardais tous les dimanche matin les DVD des Chevaliers du Zodiaque de ton père ? Tu ne vois pas qui est Athéna-Niké ? Athéna est la déesse grecque de la guerre, et elle est souvent liée à Niké, la déesse grecque de la victoire. Ici nous avons une statue qui ressemble à Niké. J'imagine qu'elle est censée glorifier la victoire française contre les allemands.
Pourquoi tu dis ça, tonton ? C'est pas ce qui s'est passé ?
Si, mon petit. Mais vois-tu, j'ai du mal avec ce monument aux morts. Il aurait dû maudire la guerre, rendre un hommage funèbre à la tragédie humaine qu'elle représente pour chaque peuple qui y est confronté. Ç’aurait été plus... humain.
J'ai envie de croire que cette statue n'est pas une statue personnifiant la Victoire, car il n'y a rien eu, dans ces deux guerres mondiales, de glorieux. Ni à Alençon, ni ailleurs.
Le patriotisme, le nationalisme deviennent très vite des poisons pour l'esprit. Il me paraît tout à fait bon d'aimer son pays... Tant qu'on n'en vient pas à s'aveugler sur ses torts, défauts et sur le sang que nous avons sur les mains.
La France et l'Allemagne sont en paix l'une avec l'autre depuis plus de 70 ans maintenant, et avec elles, toute l'Europe de l'Ouest. À ton avis, mon cher neveu, avons-nous vraiment besoin d'un tel monument à la gloire de la victoire guerrière et de la défense de la Patrie ? Un glaive peut-il symboliser la paix et l'hommage aux victimes de l'Histoire ?
Allez, viens donc. On n'est plus très loin de chez ton Papy et ta Mamie. Ta sœur et ton frère doivent être arrivés maintenant.
Tu es bien triste, tonton... Ça va ?
Ce n'est rien. C'est simplement... Le poids de l'Histoire.
Ça veut dire quoi ?
...Simplement que ton oncle se fait vieux, petit à petit. Allez, viens...
vendredi 16 octobre 2015
Songes et souvenirs...
Dans la froide grisaille d'Octobre, derrière une haie en bordure de route se tenait un arbre mort.
Ses étranges ramifications instillaient la peur et le doute dans le cœur de ceux qui se rendaient sous ses branches, car en effet, cet arbre était connu pour avoir jadis été le lieu de suicide de plusieurs personnes, acculées par des dettes, détruites par une tromperie ou simplement gravement malades.
Or, depuis approximativement dix ans, plus rien. L'arbre qui, jadis, était un haut lieu du suicide local, semblait agir en repoussoir envers les suicidaires. L'on vit même des personnes désespérées se reprendre dans un sursaut d'instinct de survie et appeler sur place le SAMU.
Bien évidemment, et comme souvent, personne ne sut ce qui pouvait bien avoir provoqué un tel changement sociologique chez les suicidaires du cru.
La réponse était pourtant sous leurs yeux, accessible à toute personne un peu observatrice et néanmoins présente sur ce cliché.
Deux oiseaux. Des corneilles ou des choucas des tours ? Certes guère, messires.
Seule une espèce d'oiseau pouvait à la fois avoir un impact si considérable sur les humains et être insensible à mon fidèle appareil photo qui pourtant avait brisé plus d'un sortilège...
Des corbeaux.
Et à dire vrai je ne vous ai point livré toute l'étendue de mon expertise sur la question. Car même les corbeaux craignent le regard de la vérité à travers mon téléobjectif, bien qu'ils soient de plus sérieux concurrents que les simples rouges-gorges.
Ces deux corbeaux ont un nom. Un nom fameux. Le premier est Hugin et le second, Munin. L'un est la pensée et l'autre la mémoire du dieu Odin. Car je vous le rappelle, en terres normandes, les vieux dieux ne sont pas encore morts...
On pourrait répugner à cette hypothèse, mais en vérité c'est bien plus qu'une hypothèse. Souvenez-vous cette curieuse histoire que je vous ai racontée il y a quatre jours à peine... Cette histoire se passe à peine à quelques dizaines de mètres de ce fameux arbre. Hasard, coïncidence ?
Jadis, il se murmurait que Hangadróttinn accordait, au pied de cet arbre, un dernier présent à ceux qui se préparaient à accélérer l'inéluctable : tantôt la lucidité, tantôt de simples souvenirs.
Mais c'était il y a longtemps... Bien avant les jours de la chrétienté triomphante, bien avant qu'il n'existe plus que quelques individus acceptant de croire en Odin, comme l'on croirait dans les forces d'un vieil ami.
Cependant, la nature s'est éveillée, particulièrement aux aguets, depuis une dizaine d'années. Hasard ou revanche récente des vieux dieux, ceci semble avoir revigoré le panthéon des Ases et, depuis, moi-même ai pu le constater...
...La sorcellerie semble renaître.
Ses étranges ramifications instillaient la peur et le doute dans le cœur de ceux qui se rendaient sous ses branches, car en effet, cet arbre était connu pour avoir jadis été le lieu de suicide de plusieurs personnes, acculées par des dettes, détruites par une tromperie ou simplement gravement malades.
Or, depuis approximativement dix ans, plus rien. L'arbre qui, jadis, était un haut lieu du suicide local, semblait agir en repoussoir envers les suicidaires. L'on vit même des personnes désespérées se reprendre dans un sursaut d'instinct de survie et appeler sur place le SAMU.
Bien évidemment, et comme souvent, personne ne sut ce qui pouvait bien avoir provoqué un tel changement sociologique chez les suicidaires du cru.
La réponse était pourtant sous leurs yeux, accessible à toute personne un peu observatrice et néanmoins présente sur ce cliché.
Deux oiseaux. Des corneilles ou des choucas des tours ? Certes guère, messires.
Seule une espèce d'oiseau pouvait à la fois avoir un impact si considérable sur les humains et être insensible à mon fidèle appareil photo qui pourtant avait brisé plus d'un sortilège...
Des corbeaux.
Et à dire vrai je ne vous ai point livré toute l'étendue de mon expertise sur la question. Car même les corbeaux craignent le regard de la vérité à travers mon téléobjectif, bien qu'ils soient de plus sérieux concurrents que les simples rouges-gorges.
Ces deux corbeaux ont un nom. Un nom fameux. Le premier est Hugin et le second, Munin. L'un est la pensée et l'autre la mémoire du dieu Odin. Car je vous le rappelle, en terres normandes, les vieux dieux ne sont pas encore morts...
On pourrait répugner à cette hypothèse, mais en vérité c'est bien plus qu'une hypothèse. Souvenez-vous cette curieuse histoire que je vous ai racontée il y a quatre jours à peine... Cette histoire se passe à peine à quelques dizaines de mètres de ce fameux arbre. Hasard, coïncidence ?
Jadis, il se murmurait que Hangadróttinn accordait, au pied de cet arbre, un dernier présent à ceux qui se préparaient à accélérer l'inéluctable : tantôt la lucidité, tantôt de simples souvenirs.
Mais c'était il y a longtemps... Bien avant les jours de la chrétienté triomphante, bien avant qu'il n'existe plus que quelques individus acceptant de croire en Odin, comme l'on croirait dans les forces d'un vieil ami.
Cependant, la nature s'est éveillée, particulièrement aux aguets, depuis une dizaine d'années. Hasard ou revanche récente des vieux dieux, ceci semble avoir revigoré le panthéon des Ases et, depuis, moi-même ai pu le constater...
...La sorcellerie semble renaître.
lundi 12 octobre 2015
Les cimetières sont de curieux endroits...
Il est un lieu dont je vous ai déjà brièvement parlé que j'affectionne particulièrement pour son calme et même sa grande tranquillité : le cimetière.
Lieux de repos des morts depuis toujours, les cimetières sont également pour moi des lieux fortement symboliques, un lien étroit entre un passé nébuleux et permanent et un présent fugace et chaotique.
Ainsi, j'ai parfois la curieuse habitude de me promener en compagnie de mon père dans un des cimetières de la commune. Des cimetières dans les environs, il y en a un nombre assez appréciable pour une agglomération au final relativement modeste.
On y trouve toute l'histoire de la ville, des notables aux miséreux. Bien sûr ces derniers ont les monuments funéraires les plus périssables et les moins bien entretenus, bien qu'à ce sujet les monuments funéraires des familles nobles des environs valent eux aussi le détour question vétusté.
Or donc, mon père et moi arpentions les allées les moins bien entretenues d'un de ces cimetières, des allées où des noms illustres de généraux napoléoniens côtoyaient ceux d'anciennes grenouilles de bénitier... Quand nous fûmes interrompus par un bruit.
Non, pas un bruit. Un miaulement.
Intrigués nous cherchâmes du regard la bête responsable et celle-ci se dévoila effectivement à nous, surgissant de derrière une stèle.
Ce matou avait les yeux dorés et le pelage gris et blanc.
Continuant de miauler vers nous, il accourut et se frotta dans un premier temps à mes jambes, puis, dans un second temps, à celles de mon paternel avant de revenir vers moi.
Amusés, nous nous demandions tout de même combien de puces nous allions emporter dans nos demeures respectives, mais n'eûmes pas beaucoup l'occasion de nous attarder sur cette angoissante question car soudain...
Gami ! Viens ici !
Nous nous retournâmes derechef et tombâmes nez à nez avec un vieil homme à l'apparente incurie. Habillé dans de vieux haillons dont un manteau gris délabré l'enveloppant tant bien que mal, il s'appuyait sur une canne, peut-être la seule chose présentable qu'il possédait. Il portait à la taille une besace de cuir ayant très mal vieilli, au cou, mal cachée derrière sa barbe grise, une écharpe d'un bleu aussi délavé que la sorte de chapeau mou qui coiffait ses trop rares cheveux grisonnants. Cependant ses yeux étaient... non, il n'avait qu'un œil ; d'un bleu perçant, presque plus saisissant qu'un bleu laser, il nous scruta tour à tour mon père et moi, et alors que mon père commençait à bégayer quelques excuses à l'adresse de cette personne qui était vraisemblablement un vieux SDF, celui-ci nous parla :
Ne vous en faites pas mon brave monsieur. Mon petit félin Gami a tendance à aimer les odeurs. Je crois d'ailleurs que ce jeune monsieur possède un chat lui aussi, vu la frénésie avec laquelle mon petit Gami se frotte à sa jambe, - Gami ça suffit ! - mais permettez moi de me présenter : je m'appelle Bruno. Et messieurs, je crois savoir que vous, vous êtes monsieur l'instituteur de l'école de Lancrel. Oui, je vois qui vous êtes, monsieur. Ah oui, je crois savoir que vous n'enseignez plus. Oh, que je vous envie, monsieur. Vous vivez actuellement les plus belles années de votre vie, - sauf votre respect, car je le sais aussi bien que vous, l'âge est un fardeau parfois lourd à porter, oui... - et vous jeune monsieur. Vous, je vous connais très bien. Vous êtes monsieur Gilles, celui que d'aucuns confondent tantôt avec un journaliste de Ouest-France, tantôt avec un photographe professionnel. Oh vous savez, les bruits vont vite en ville, et j'entends de nombreuses choses en traînant dans les rues.
Oui, vous non plus n'avez finalement pas à vous plaindre. Malgré les soucis qui, je le vois, ont marqué votre visage - et votre regard - je vous le dis : vous vivez de beaux jours... La jeunesse est un âge qu'on a trop tort de gâcher avec ses angoisses.
Interloqués, et visiblement très mal à l'aise, nous n'osions dire mot à ce Bruno qui semblait tout compte fait être plus énigmatique qu'un simple clochard, bien que sa loquacité, je le voyais bien, contrariait fort mon père qui, d'habitude, était celui que personne n'arrêtait une fois lancé dans une discussion quelconque. Le voir marri de n'être point celui qui sait me chagrinait quelque peu, en plus de rajouter à mon malaise. Nous ne pensions pas à quel point la rue pouvait colporter des informations personnelles voire intimes sur les gens et comment de simples malheureux pouvaient se retrouver à en savoir plus sur les gens que la DCRI elle-même.
Ah mes bons messieurs, cela me réjouit de rencontrer dans cet aimable cimetière deux âmes aussi nobles et aimables que vous, car sachez-le, mon petit Gami - Shinigami, c'est son nom complet - a un jugement très fiable sur les gens. S'il vient vers vous, c'est que vous êtes des personnes de bien. J'irai même plus loin en affirmant que, vu son amour, vous êtes de la race des gens appelés à faire de grandes choses... Mais, messieurs, vous le savez aussi bien que moi, les grandes personnes qui firent des grandes choses connaissent parfois de tragiques destinées. Vos vies à tous deux ont sûrement déjà connu des choses terribles... Vous savez, messieurs, j'ai quelque pouvoir de prescience que je tiens de mon grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père. C'est un don, que voulez-vous...
Rassurez-vous, monsieur le vénérable instituteur... Je ne cherche point à vous quémander de l'argent. D'ailleurs je vais faire mieux que ça. Je vais vous dire ce que j'entrevois pour vous. Aussi vrai que je n'ai qu'un œil, je tiens pour vrai ce que je m'apprête à vous dire.
Désolé, monsieur...euh monsieur Bruno mais nous ne sommes nullement intéressés... Vous...Vous savez nous ne croyons pas à ces pouvoirs magiques. Nous avons l'incorrigible défaut d'être des rationalistes et des matérialistes complets. V...Viens Gilles, nous avons encore à faire ce soir...
Je n'en crus pas mes oreilles un instant et n'eus d'ailleurs pas le temps de saisir toute la portée cachée du discours de ce sieur Bruno, mais déjà mon père m'entraînait manu-militari, courant presque, hors du cimetière.
Je n'eus qu'un dernier regard à la porte du cimetière. Bruno était toujours planté là, à l'endroit où nous l'avions laissé. Il nous regardait et les deux yeux dorés de son chat nous fixaient aussi.
Ma dernière image de ce vieil homme trouble fut deux corbeaux qui se perchaient chacun sur une de ses épaules en croassant.
Puis je filai à la suite de mon père...
Loin de notre portée, Bruno murmura :
Nous nous reverrons, messieurs... Nous nous reverrons.
Les cimetières sont de curieux endroits, les gens qui les fréquentent sont de curieuses personnes, et parfois l'on peut y faire des rencontres étranges...
...Mais rien ne pouvait nous préparer à la rencontre de Bruno.
Lieux de repos des morts depuis toujours, les cimetières sont également pour moi des lieux fortement symboliques, un lien étroit entre un passé nébuleux et permanent et un présent fugace et chaotique.
Ainsi, j'ai parfois la curieuse habitude de me promener en compagnie de mon père dans un des cimetières de la commune. Des cimetières dans les environs, il y en a un nombre assez appréciable pour une agglomération au final relativement modeste.
On y trouve toute l'histoire de la ville, des notables aux miséreux. Bien sûr ces derniers ont les monuments funéraires les plus périssables et les moins bien entretenus, bien qu'à ce sujet les monuments funéraires des familles nobles des environs valent eux aussi le détour question vétusté.
Or donc, mon père et moi arpentions les allées les moins bien entretenues d'un de ces cimetières, des allées où des noms illustres de généraux napoléoniens côtoyaient ceux d'anciennes grenouilles de bénitier... Quand nous fûmes interrompus par un bruit.
Non, pas un bruit. Un miaulement.
Intrigués nous cherchâmes du regard la bête responsable et celle-ci se dévoila effectivement à nous, surgissant de derrière une stèle.
Ce matou avait les yeux dorés et le pelage gris et blanc.
Continuant de miauler vers nous, il accourut et se frotta dans un premier temps à mes jambes, puis, dans un second temps, à celles de mon paternel avant de revenir vers moi.
Amusés, nous nous demandions tout de même combien de puces nous allions emporter dans nos demeures respectives, mais n'eûmes pas beaucoup l'occasion de nous attarder sur cette angoissante question car soudain...
Gami ! Viens ici !
Nous nous retournâmes derechef et tombâmes nez à nez avec un vieil homme à l'apparente incurie. Habillé dans de vieux haillons dont un manteau gris délabré l'enveloppant tant bien que mal, il s'appuyait sur une canne, peut-être la seule chose présentable qu'il possédait. Il portait à la taille une besace de cuir ayant très mal vieilli, au cou, mal cachée derrière sa barbe grise, une écharpe d'un bleu aussi délavé que la sorte de chapeau mou qui coiffait ses trop rares cheveux grisonnants. Cependant ses yeux étaient... non, il n'avait qu'un œil ; d'un bleu perçant, presque plus saisissant qu'un bleu laser, il nous scruta tour à tour mon père et moi, et alors que mon père commençait à bégayer quelques excuses à l'adresse de cette personne qui était vraisemblablement un vieux SDF, celui-ci nous parla :
Ne vous en faites pas mon brave monsieur. Mon petit félin Gami a tendance à aimer les odeurs. Je crois d'ailleurs que ce jeune monsieur possède un chat lui aussi, vu la frénésie avec laquelle mon petit Gami se frotte à sa jambe, - Gami ça suffit ! - mais permettez moi de me présenter : je m'appelle Bruno. Et messieurs, je crois savoir que vous, vous êtes monsieur l'instituteur de l'école de Lancrel. Oui, je vois qui vous êtes, monsieur. Ah oui, je crois savoir que vous n'enseignez plus. Oh, que je vous envie, monsieur. Vous vivez actuellement les plus belles années de votre vie, - sauf votre respect, car je le sais aussi bien que vous, l'âge est un fardeau parfois lourd à porter, oui... - et vous jeune monsieur. Vous, je vous connais très bien. Vous êtes monsieur Gilles, celui que d'aucuns confondent tantôt avec un journaliste de Ouest-France, tantôt avec un photographe professionnel. Oh vous savez, les bruits vont vite en ville, et j'entends de nombreuses choses en traînant dans les rues.
Oui, vous non plus n'avez finalement pas à vous plaindre. Malgré les soucis qui, je le vois, ont marqué votre visage - et votre regard - je vous le dis : vous vivez de beaux jours... La jeunesse est un âge qu'on a trop tort de gâcher avec ses angoisses.
Interloqués, et visiblement très mal à l'aise, nous n'osions dire mot à ce Bruno qui semblait tout compte fait être plus énigmatique qu'un simple clochard, bien que sa loquacité, je le voyais bien, contrariait fort mon père qui, d'habitude, était celui que personne n'arrêtait une fois lancé dans une discussion quelconque. Le voir marri de n'être point celui qui sait me chagrinait quelque peu, en plus de rajouter à mon malaise. Nous ne pensions pas à quel point la rue pouvait colporter des informations personnelles voire intimes sur les gens et comment de simples malheureux pouvaient se retrouver à en savoir plus sur les gens que la DCRI elle-même.
Ah mes bons messieurs, cela me réjouit de rencontrer dans cet aimable cimetière deux âmes aussi nobles et aimables que vous, car sachez-le, mon petit Gami - Shinigami, c'est son nom complet - a un jugement très fiable sur les gens. S'il vient vers vous, c'est que vous êtes des personnes de bien. J'irai même plus loin en affirmant que, vu son amour, vous êtes de la race des gens appelés à faire de grandes choses... Mais, messieurs, vous le savez aussi bien que moi, les grandes personnes qui firent des grandes choses connaissent parfois de tragiques destinées. Vos vies à tous deux ont sûrement déjà connu des choses terribles... Vous savez, messieurs, j'ai quelque pouvoir de prescience que je tiens de mon grand-père, qui lui-même le tenait de son grand-père. C'est un don, que voulez-vous...
Rassurez-vous, monsieur le vénérable instituteur... Je ne cherche point à vous quémander de l'argent. D'ailleurs je vais faire mieux que ça. Je vais vous dire ce que j'entrevois pour vous. Aussi vrai que je n'ai qu'un œil, je tiens pour vrai ce que je m'apprête à vous dire.
Désolé, monsieur...euh monsieur Bruno mais nous ne sommes nullement intéressés... Vous...Vous savez nous ne croyons pas à ces pouvoirs magiques. Nous avons l'incorrigible défaut d'être des rationalistes et des matérialistes complets. V...Viens Gilles, nous avons encore à faire ce soir...
Je n'en crus pas mes oreilles un instant et n'eus d'ailleurs pas le temps de saisir toute la portée cachée du discours de ce sieur Bruno, mais déjà mon père m'entraînait manu-militari, courant presque, hors du cimetière.
Je n'eus qu'un dernier regard à la porte du cimetière. Bruno était toujours planté là, à l'endroit où nous l'avions laissé. Il nous regardait et les deux yeux dorés de son chat nous fixaient aussi.
Ma dernière image de ce vieil homme trouble fut deux corbeaux qui se perchaient chacun sur une de ses épaules en croassant.
Puis je filai à la suite de mon père...
Loin de notre portée, Bruno murmura :
Nous nous reverrons, messieurs... Nous nous reverrons.
Les cimetières sont de curieux endroits, les gens qui les fréquentent sont de curieuses personnes, et parfois l'on peut y faire des rencontres étranges...
...Mais rien ne pouvait nous préparer à la rencontre de Bruno.
jeudi 8 octobre 2015
Ombres et poussières...
Cyclone infernal.
Jadis, des champs en jachère.
Poussières et cendres.
Un Cri retentit au loin.
Sakuya-Hime s'agite.
龍
dimanche 4 octobre 2015
Au bord du monde...
Au bord du monde, voici l'abîme !
Au bord du monde, voici les cimes !
De roche, de bois, d'air et d'eau,
Ces géants me portent sur leur dos.
Sous mes pieds, un grand précipice !
Sous mes pieds, le temps du sacrifice !
Ici le sang séché s'insinue sous la roche.
Là, un crâne et un vieux casque boche...
Car la forêt donne et reprend à tous.
Car la forêt toujours grandit et pousse.
Sans relâche, elle nous nourrit.
Sans relâche, elle nous détruit.
Tous nos sacrifices sont vains.
Tous nos espoirs, balayés au loin.
Ne reste que la nature féconde,
Qui prend racine au bord du monde...
jeudi 1 octobre 2015
La légende du cavalier noir de Sai...
Dis tonton, c'est vrai que tu nous emmènes vers un endroit hanté ? C'est ce que maman nous a dit, mais elle a pas dit qu'on allait à Argentan.
Eh bien oui, mes chers neveux, je vous emmène bien vers un endroit hanté... Peut-être même vers un endroit maudit !
Argentan est maudite ? C'est vrai ?
Non, mon petit neveu. Nous n'allons pas exactement à Argentan mais sur les chemins de Sai.
Sai ? C'est un drôle de nom. Tu nous racontes l'histoire du fantôme d'ici ?
J'y compte bien. D'ailleurs nous sommes arrivés. Descendez de voiture, je vais vous la raconter...
Sachez-le, il existe de nombreuses rumeurs autour de ce village de Sai. Notamment des histoires de garous, des histoires d'autant plus intéressantes, qu'elles font partie des histoires originelles de loups-garous, de ces hommes qui, portant une haire, devenaient de dangereux tueurs affamés de chair crue.
Oui, mes petits... Sai est un de ces villages où de puissantes forces occultes se sont rassemblées de tous temps... Un de ces villages qui flirtent avec aussi bien l'enfer que le paradis...
... Et en parlant d'enfer, il existe une curieuse légende ayant terrorisé des générations de locaux.
Car en effet, sur les chemins qui mènent à Sai, certains anciens attestent que, certaines nuits, où la Lune n'est masquée par aucun nuage, un grand, jeune et séduisant cavalier montant un cheval noir parcourt les chemins des environs, semblant perdu.
Gare à celui qui, tardivement, croiserait sa route... Car ce bel homme demande son chemin à qui il croise, invitant même à monter en croupe pour l'aider à retrouver son chemin vers la cité d'Alençon.
Ceux et celles qui montèrent ce noir destrier ne revinrent que morts, près du pré de la fontaine, horriblement mutilés, les yeux balafrés et le cœur arraché.
On raconte qu'une jeune habitante de Sai eut la vie sauve en se laissant tomber du cheval noir à l'insu du cavalier et en se cachant prestement dans un buisson. D'après cette pucelle réputée être d'une grande piété et donc peu sujette à l'affabulation et au mensonge, elle reconnut la véritable nature du cavalier par ses pieds fourchus.
L'on dit que la foi de la jeune pucelle lui indiqua le buisson pouvant la protéger du Démon. C'était une ronce commune qu'elle raconte avoir vu briller de mille feux quelques instants avant de s'y dissimuler.
Depuis des siècles résonnent certaines nuits les pas d'un cheval, au loin, sur ces chemins.
C'est pourquoi, mes chers neveux, il est déconseillé de parcourir les routes où nous sommes, depuis la tombée du jour jusqu'au petit matin... Il y a eu trop de jeunes esprits naïfs emportés par le Diable...
D'ailleurs, écoutez... N'entendez-vous pas le bruit des sabots d'un cheval au loin ?
Mais tonton ! C'est pas drôle ! Tu fais peur...
Eh bien oui, mes chers neveux, je vous emmène bien vers un endroit hanté... Peut-être même vers un endroit maudit !
Argentan est maudite ? C'est vrai ?
Non, mon petit neveu. Nous n'allons pas exactement à Argentan mais sur les chemins de Sai.
Sai ? C'est un drôle de nom. Tu nous racontes l'histoire du fantôme d'ici ?
J'y compte bien. D'ailleurs nous sommes arrivés. Descendez de voiture, je vais vous la raconter...
Sachez-le, il existe de nombreuses rumeurs autour de ce village de Sai. Notamment des histoires de garous, des histoires d'autant plus intéressantes, qu'elles font partie des histoires originelles de loups-garous, de ces hommes qui, portant une haire, devenaient de dangereux tueurs affamés de chair crue.
Oui, mes petits... Sai est un de ces villages où de puissantes forces occultes se sont rassemblées de tous temps... Un de ces villages qui flirtent avec aussi bien l'enfer que le paradis...
... Et en parlant d'enfer, il existe une curieuse légende ayant terrorisé des générations de locaux.
Car en effet, sur les chemins qui mènent à Sai, certains anciens attestent que, certaines nuits, où la Lune n'est masquée par aucun nuage, un grand, jeune et séduisant cavalier montant un cheval noir parcourt les chemins des environs, semblant perdu.
Gare à celui qui, tardivement, croiserait sa route... Car ce bel homme demande son chemin à qui il croise, invitant même à monter en croupe pour l'aider à retrouver son chemin vers la cité d'Alençon.
Ceux et celles qui montèrent ce noir destrier ne revinrent que morts, près du pré de la fontaine, horriblement mutilés, les yeux balafrés et le cœur arraché.
On raconte qu'une jeune habitante de Sai eut la vie sauve en se laissant tomber du cheval noir à l'insu du cavalier et en se cachant prestement dans un buisson. D'après cette pucelle réputée être d'une grande piété et donc peu sujette à l'affabulation et au mensonge, elle reconnut la véritable nature du cavalier par ses pieds fourchus.
L'on dit que la foi de la jeune pucelle lui indiqua le buisson pouvant la protéger du Démon. C'était une ronce commune qu'elle raconte avoir vu briller de mille feux quelques instants avant de s'y dissimuler.
Depuis des siècles résonnent certaines nuits les pas d'un cheval, au loin, sur ces chemins.
C'est pourquoi, mes chers neveux, il est déconseillé de parcourir les routes où nous sommes, depuis la tombée du jour jusqu'au petit matin... Il y a eu trop de jeunes esprits naïfs emportés par le Diable...
D'ailleurs, écoutez... N'entendez-vous pas le bruit des sabots d'un cheval au loin ?
Mais tonton ! C'est pas drôle ! Tu fais peur...
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